Almanara Magazine

LES INFLUENCES SYRIAQUES DANS

LA MINIATURE ETHIOPIENNE

 

AMINE-JULES ISKANDAR

INTRODUCTION

Les relations entres les Eglises syriaque et éthiopienne remontent à la naissance même de cette dernière. Frumentius, un syriaque de Tyr, introduisit le christianisme en Ethiopie[1] et plus tard, se sont neuf moines syriaques[2] qui y développèrent le monachisme et la littérature à partir de traductions d’ouvrages grecs et syriaques.

Les contacts n’ont jamais cessé entre Syriaques et Ethiopiens, soit directement, soit à travers l’Egypte copte. Deir-el-Surian (le Couvent-des-Syriaques dans le désert égyptien) joua un rôle essentiel à partir du Moyen Age, mais aussi la Qadisha (la Vallée-Sainte au Liban), où le monophysisme réunit une fois de plus Syriaques et Ethiopiens au XV° siècle[3].

Si dans le domaine de l’architecture l’Ethiopie resta fidèle à l’ancienne civilisation axoumite, c’est dans l’art sacré que les traces des échanges se concrétisèrent. Les influences syriaques que nous retrouvons dans les arts grec, arménien et latin, ne peuvent que se lire également sur l’art sacré éthiopien et ce au niveau des thèmes iconographiques, des compositions et des détails. Le Codex Rabulensis[4] constitue un des monuments artistiques les plus déterminants dans la constitution et la fixation des images iconographiques chrétiennes. Son influence fut également profonde en Ethiopie où elle fut introduite à travers les exemples grecs et syriaques qui constituèrent les modèles et références de l’iconographie éthiopienne[5].

La personnalité africaine ne manqua pas de marquer l’art éthiopien de son seau, lui donnant ainsi un caractère particulier au cœur du monde chrétien oriental. L’Ethiopie bien que sémitique -le guèze, comme le syriaque, étant issu du sémitique occidental- s’enrichit également de sa dimension africaine. Cet aspect se réfugia cependant dans l’art magique des rouleaux[6], l’art officiel des manuscrits étant plus tourné vers les autres Eglises chrétiennes. C’est surtout dans les rouleaux que l’œil magique protecteur fait son apparition auprès des croix et des archanges chrétiens.

L’Ethiopie est l’un des pays les plus riches en écriture et peinture sur parchemin[7]. Encore aujourd’hui la production selon les méthodes traditionnelles est très florissante. Cet art avec celui des croix représente une richesse inestimable et encore mal répertoriée. Il s’agit pourtant d’un art chrétien issu du syro-byzantin[8], très original et doté d’un caractère propre et d’une grande valeur. Il est de plus, porteur de la tradition iconographique syriaque qu’il affiche de manière plus ou moins discrète ou évidente.

              INTERACTIONS ETHIOPIENNES-SYRIAQUES

Dans son Histoire Ecclésiastique (I,9) le Latin Rufin (345-410)[9] nous apprend qu’un philosophe syriaque nommé Méropius se rendit en Ethiopie accompagné de ses élèves Frumence (Frumentius) et Edèse (Aedesisus) originaires de Tyr en Phénicie. Leur bateau fit naufrage et tout l’équipage fut massacré excepté les deux jeunes syriaques qui furent emmenés à la cour d’Axoum. Là ils gagnèrent de par leur érudition la confiance de la famille royale qui se convertit au christianisme[10].

Edèse rentra plus tard en Phénicie où il fit part de sa mission au Latin Rufin tandis que Frumence se rendit à Alexandrie pour établir un lien entre l’Eglise éthiopienne et le Patriarcat. Il fut alors sacré évêque d’Axoum par le patriarche d’Alexandrie Saint Athanase (mort en 373)[11]. Le Synaxaire éthiopien –ou Livre des Saints- le reconnaît comme l’Illuminateur de l’Ethiopie où la tradition le vénère sous le nom d’Abba Salama qui signifie Père de la Paix[12]. Abba qui vient du syriaque Abo, sera dès lors le titre du moine éthiopien.

Le christianisme éthiopien, écrit Kirsten Stoffregen-Pedersen, est donc issu de la confluence de trois courants: les contacts maritimes avec le monde grec, la mission syrienne (syriaque) et les liens hiérarchiques avec le siège d’Alexandrie.[13]

Claude Lepage nous apprend aussi que des preuves complémentaires de la conversion d’Ezana au christianisme vers les années 30 du IV° siècle sont apportés par deux longues inscriptions sur pierre commémorant des campagnes militaires victorieuses d’Ezana. L’une de ces stèles épigraphes, découverte en 1969, multiplie les invocations du dieu des Chrétiens.[14]

Suite au Concile de Chalcédoine en 451, l’Eglise éthiopienne fut entraînée dans le courant monophysite par l’Eglise copte[15] dont elle dépendait hiérarchiquement et par l’Eglise syriaque dont elle était fortement influencée. Cela accéléra la christianisation encore lente de l’Ethiopie, grâce à l’afflux de Coptes fuyant la tyrannie byzantine chalcédonienne en Egypte[16]. Leur implantation en Ethiopie renforça l’influence copte et, à travers elle, les contacts avec les Syriaques.

Vers cette même époque et sans doute pour les mêmes raisons, plusieurs moines et ermites syriaques vinrent s’établir en Ethiopie. Parmi eux les plus célèbres sont les Neuf Saints qui furent à l’origine du monachisme en Ethiopie. Il s’agit de Za-Mikael dit Aragawi (l’Ancien), Pantalewon, Isaak dit Garima, Gouba, Afse, Aleph, Mata, Libanos et Sehma[17]. Probablement originaires de la côte libanaise comme Frumence et Edèse, ils séjournèrent dans les monastères d’Egypte avant de se rendre en Ethiopie où ils introduisirent les règles communautaires d’Antoine et de Pacôme[18]. Les ermites sont toujours dits en Ethiopie: Tsadaqan, sans doute du syriaque Zadiqé (les Justes).

La tradition attribue aussi aux Neuf Saints la traduction en guèze de plusieurs oeuvres théologiques comme la Règle monastique de Saint Pacôme, la Vie de Saint Antoine par Saint Athanase et le Qerlos comprenant le De recta Fide de Cyrille d’Alexandrie[19]. A travers ces neuf saints on ne peut plus douter de l’influence syriaque sur la littérature éthiopienne et notamment sur l’art du manuscrit et de la miniature. Ces apports ne cesseront pas et seront plus tard couronnés par l’influence certaine du Codex Rabulensis, l’évangéliaire de l’Eglise syriaque maronite daté de l’an 586[20].

L’architecture chrétienne éthiopienne, bien que très indépendante et issue de l’ancien style axoumite païen[21], n’échappa pas totalement à l’influence syriaque. Celle-ci se manifesta encore une fois à travers l’Egypte grâce à Deir-el-Surian (Monastère-des-Syriaques) édifié en 980 et dont les fresques remontent aux XI°-XIII° siècles. L’architecture de ce couvent participa à l’introduction de l’idée de la nef voûtée dans les églises éthiopiennes[22].

ICONOGRAPHIE CHRETIENNE[23]

L’iconographie consiste en une vision des mystères représentés plutôt qu’une description rationnelle. Elle passe par la contemplation et le langage silencieux des traits, des couleurs et des volumes des images représentant les mystères chrétiens.

L’iconographie chrétienne substitue aux yeux du corps ceux de l’esprit ou de l’âme. La vision purement naturelle ou intellectuelle est remplacée par une vision transcendantale. L’iconographie chrétienne regarde la perfection classique gréco-romaine comme trop formelle et froide. Elle lui préfère l’expression des réalités intérieures ou supra sensibles. Le monde matériel n’est plus qu’un instrument pour y arriver. L’iconographie rajoute au triangle habituel artiste-œuvre-spectateur un quatrième élément : le transcendant qui brise la subjectivité de la beauté.

L’iconographie représente dans l’espace ce que le déroulement liturgique représente dans le temps. Parole et image liturgiques forment ainsi un tout. L’icône devient donc une sainte image bien distincte de l’image sainte qui n’est qu’un art profane représentant un sujet religieux.

Le Judaïsme d’où est issu le Christianisme rejetait et interdisait les représentations figuratives poussant les premiers Chrétiens à rechercher leur inspiration dans les thèmes de la mythologie païenne à laquelle ils rajoutèrent des symboles bibliques comme le poisson ou la vigne[24]. Malgré la diversité des mythologies gréco-romaine, égyptienne, phénicienne et mésopotamienne, malgré la diversité des lieux, le nouvel art se propagea avec une grande uniformité sur tout le bassin méditerranéen.

LA PAIX CONSTANTINIENNE

Avec la paix constantinienne en 313, l’art paléochrétien ésotérique, symbolique et caché devint monumental et le Christ devint un héros, un roi sur son trône. Peu à peu l’art chrétien allait se former à la rencontre entre l’harmonie hellénistique occidentale et la frontalité antiochienne.

THEOLOGIE DE L’ICONE

Platon ou -encore le néo-platonisme- marque une distinction entre le monde sensible et le monde intelligible[25]. L’homme se trouve à cheval sur ces deux mondes et doit tendre vers l’émancipation de son âme ternie par le contact de la matière. Grace à l’Incarnation du Christ, l’homme peut tendre vers le divin notamment à travers l’ascèse. L’Incarnation est donc à l’origine de l’icône. Pour cela dans l’image tout ce qui rappelle le monde sensible doit être transfiguré :

Le corps perd son aspect naturaliste.

Le visage, lieu de présence de l’Esprit de Dieu, devient le centre de la représentation.

Les yeux fascinent le spectateur.

Le front est exagéré comme siège de la sagesse.

Le nez prend ses racines dans le front et se rallonge donnant au visage une grande noblesse.

Les narines légères expriment la passion pour Dieu.

Les joues montrent des rides profondes, traces du jeûne et de l’ascèse.

La bouche, partie sensuelle, est fine et fermée dans le silence de la contemplation.

L’auréole symbolise la gloire de Dieu.

La nature est irréelle, les rochers échappant à la pesanteur.

Les couleurs échappent à la réalité.

Le tout baigne dans une lumière sans ombre.

L’ESTHETIQUE

Si le Beau tend à imiter la nature, le Sublime lui, tend vers l’infini à travers la transcendance du Beau. Le Beau est l’espace sensible. Le Sublime est le sentiment de l’espace. Le fond monochrome de l’icône exprime l’infini. La couleur dans l’iconographie n’est pas un simple moyen de décoration, mais fait partie du langage qui tend à exprimer le transcendant.

L’ICONOGRAPHIE SYRIAQUE

C’est la plus ancienne et commence avec le roi Abgar d’Edesse.

Ses origines orientales ont engendré les visages carrés ou circulaires, et les tailles courtes ou moyennes. L’influence de l’Islam a engendré les arabesques. On observe également des influences perses, mésopotamiennes et hellénistiques.

L’ICONOGRAPHIE MARONITE

Elle est issue de l’école syriaque d’où elle hérite du Codex Rabbulensis (VI° siècle). On y observe des influences hellénistiques contrairement à d’autres groupes syriaques comme  les Chaldéens et les Nestoriens.

Au Moyen Age, l’iconographie maronite s’exprime richement sur les fresques des églises comme à Maad, Béhdidet et Eddé-Batroun[26] ou encore sur la toile d’Ilige. La couche originelle de la toile d’Ilige reste la plus authentiquement syriaque car les fresques syriaques médiévales du Liban présentent elles, une influence byzantine.

A partir du XVII° siècle, l’influence latinisante de la post-renaissance fait son apparition dans l’art maronite. C’est le cas à Cannobin et dans les œuvres de Moussa et Canaan Dib[27].

L’ICONOGRAPHIE COPTE

Elle puise ses sources dans l’Alexandrie hellénistique, dans l’Egypte pharaonique, dans les portraits des momies (du Fayoum)[28], dans l’art monastique syriaque et dans certaines racines africaines lointaines. Ces deux dernières sources confèrent aux corps de l’iconographie copte des tailles petites. La proportion anatomique y passe de 1 sur 8 à 1 sur 4.

L’ICONOGRAPHIE ETHIOPIENNE

C’est une continuité de l’iconographie copte mais avec un caractère africain noir. Le dessin y est plus primitif et les couleurs plus exotiques. Le graphisme de l’artiste éthiopien exprime une force et un geste sûr. Au XVI° siècle l’influence latinisante fait son entrée avec les interventions et aides portugaises[29]. Elle est exprimée en l’église Notre-Dame-de-Sion à Axoum, et plus tard, au XIX° siècle, en la cathédrale de la Trinité à Addis-Abeba[30] dont l’architecture révèle également le baroque portugais.

En dehors de cet apport portugais, l’iconographie éthiopienne garde un caractère assez authentique car même si les origines byzantines ne font aucun doute, elle a évolué d’une manière indépendante due à l’isolement imposé par l’Islam. C’est un art surtout attentif à la valeur décorative du sujet, et qui ne garde aucun respect de la réalité vraie de l’anatomie[31]

C’est Lalibela qui offre la plus importante collection de peintures murales traditionnelles éthiopiennes, et ce dans les églises monolithiques telles que Beita-Abba-Libanos, Beita-Maryam et Beita-Giorgis. Nous y trouvons également de magnifiques bas-reliefs, notamment à Beita-Golgota, Beita-Maryam, Beita-Emanuel, Beita-Medhané-Alam et l’Eglise troglodytique d’Abba-Libanos. La peinture reste néanmoins bien plus répandue que la sculpture presque inexistante et le bas-relief que l’on rencontre à peine à Lalibela. En effet comme le dit Jules Leroy, à l’imitation des autres Eglises orientales, l’Ethiopie chrétienne n’a jamais montré un goût très prononcé pour la plastique.[32]

Si les icônes se font rares, les peintures murales et surtout les miniatures font preuve en revanche d’une très grande richesse tel qu’en témoigne Jules Leroy :

Jamais nation n’a autant écrit sur parchemin. Si, aux manuscrits éthiopiens conservés en Europe et en Amérique, dont le nombre est connu, il était possible d’ajouter ceux de ce pays, on arriverait à un chiffre fantastique. Aujourd’hui encore, l’art de l’écriture et du livre manuscrit demeure en usage, selon des procédés artisanaux établis depuis des siècles et dont personne ne s’écarte..[33]

Les rouleaux magiques éthiopiens appartiennent au domaine artistique le plus répandu en Ethiopie. D’une dizaine de centimètres de largeur à peine, ils font en longueur la taille de la personne qui les porte. Le rouleau en peau d’animal est destiné à protéger du mauvais œil ou à guérir la personne qui s’enduit le corps du sang de ce même animal sacrifié[34]. L’art du rouleau est encore plus schématique et expressif que les autres domaines iconographiques éthiopiens. Là, les yeux sont exagérément appuyés et peuvent parfois constituer des motifs à part entière. Le regard frontal, bon ou saint, est destiné à repousser les démons eux-mêmes représentés dans certaines compositions. La majeure partie du rouleau reste cependant occupée par le texte dont l’esthétique est rendue par la beauté de la calligraphie guèze.

LA COULEUR DANS L’ICONOGRAPHIE ETHIOPIENNE

Comme pour les autres Eglises orientales, en Ethiopie les lignes et les couleurs répondent non à la réalité mais à des lois rythmiques qui nous rappellent l’expressionnisme du XX° siècle. Mais l’art sacré éthiopien, encore plus expressif dans ses couleurs, nous fait songer à la peinture d’artistes connus comme Rouault et Chagall.

                      LES INFLUENCES SYRIAQUES DANS

                          LA MINIATURE ETHIOPIENNE

L’art de la peinture sur parchemin est très développé et répandu depuis la christianisation de l’Ethiopie. La richesse de ce patrimoine rappelle celui des manuscrits arméniens d’une importance également inestimable. Mais en Ethiopie l’écriture et ses compléments –le décor et la miniature- prennent une dimension surnaturelle ou sacrée, voire même magique[35]. Cette croyance et ses pratiques se sont pour cela répandues sur tout le haut plateau éthiopien et à toutes les époques jusqu’à nos jours où elles n’ont rien perdu de leur vivacité et de leur diversité. Si les manuscrits antérieurs au XVI° siècle se font très rares, cela s’explique par les ravages commis par les razzias d’Ahmed Gragne[36]. Quant aux rouleaux magiques, leur âge récent (XIX° siècle et rarement le XVIII° siècle) est dû à l’usage quotidien et particulier pour lequel ils sont destinés[37]. Mais même si les rouleaux antérieurs au XVIII° siècle ont disparu, les plus récents sont toujours porteurs de l’ancienne tradition, celle d’un art original et porteur du caractère profond de l’Ethiopie à la fois africaine et chrétienne.

Claude Lepage écrit à ce sujet:

L’art elliptique des rouleaux de prière, aux usages thérapeutiques et magiques, est déjà perceptible dans ces peintures strictement religieuses. Cet art correspond au tempérament et à l’âme éthiopienne. L’arrivée des Occidentaux semble avoir plongé dans la clandestinité l’art éthiopien le plus spontané et le plus original”.[38]

Les anciens manuscrits éthiopiens disparus devaient probablement être munis de miniatures à l’image de leurs modèles grecs et syriaques dont ils furent traduits[39]. Mais là aussi, le génie éthiopien n’a pas manqué de marquer de son sceau l’art qui allait occuper une place principale dans le patrimoine national. Ce patrimoine est riche d’une longue histoire mais il est également vivant car encore aujourd’hui, les scriptoria d’Ethiopie produisent des livres manuscrits. On y reconnaît l’ancienne tradition, les caractéristiques et les techniques des anciens ouvrages guèzes conservés dans les bibliothèques d’Ethiopie et d’Occident. Ils ont été largement décrits par Leroy.[40]

L’originalité de la peinture chrétienne éthiopienne apparaît dans l’importance donnée à certains thèmes, dans l’enrichissement de la composition par certains éléments et la suppression d’autres, et enfin dans le dessin et le choix de la couleur.

LES INFLUENCES NON SYRIAQUES DANS

LA MINIATURE ETHIOPIENNE

1-Les influences en Ethiopie

En plus de la force du dessin et de la couleur qui survit de manière plus évidente dans les rouleaux magiques, la miniature éthiopienne comporte des influences diverses. D’abord celles de l’art et du cérémonial de la Perse post-sassanide et des cours islamiques qui s’en inspirèrent. Puis à partir du XV° siècle apparaissent les influences des cours mameloukes suivies par les apports mongoles. Alors “les personnages prennent des visages en lune, écrit Claude Lepage; leurs yeux se brident; leurs sourcils se plient en accent circonflexe, rappellent l’art de l’inde et de la Chine, diffusé à l’Ouest à l’occasion des conquêtes mongoles”.[41] Ces influences sont également apparentes chez les Syriaques mais se font relativement plus rares[42].

2-La peinture traditionnelle et la fascination

Au niveau de la force expressive du dessin et de la couleur, c’est la fascination qui en résulte comme le démontre l’art du rouleau.

Dans ce domaine, Jacques Mercier nous apprend qu’”il ne s’agit ni d’instruire ni de préparer à une pratique religieuse, mais de guérir un malade, c’est-à-dire un possédé du démon pour les Ethiopiens. Le malade doit accrocher son rouleau sur le mât central de sa maison, en face de sa couche, et en regarder fixement les peintures jusqu’à ce qu’elles agissent sur lui par fascination”.[43]

Mais qu’est-ce-que la fascination? A ce sujet Jacques Mercier précise: “l’image est centrée; les cercles cadrent le champ du regard et celui-ci, par contraste, reste fixé sur les motifs centraux des yeux. Le dessin donne l’impression de bouger tout en étant fixe. Ce, mouvement dans la fixité n’est autre que la fascination”.[44]

3-Les thèmes

La Crucifixion:

Parfois dans la Crucifixion la croix est représentée vide comme sur les ampoules de pèlerinage de Jérusalem datant du VI° siècle[45]. Dans celles-ci, lorsque le Christ ne figure pas crucifié, il est remplacé par son buste au-dessus de la croix. L’artiste éthiopien a peint lui, au lieu du buste, “l’Agneau du Sauveur qui enlève les péchés du monde”. Par cette croix vide l’art éthiopien reste fidèle à des thèmes chrétiens disparus ailleurs.

L’Ensevelissement du Christ :

Les Byzantins et autres Orientaux ont conçu l’Ensevelissement du Christ comme une scène d’émotion contenue, mais réelle, qui se lit sur les visages de Joseph et de Nicodème. Les Ethiopiens eux, ont représenté ces deux personnages vus de face, le regard fixe, immobiles et comme indifférents au cadavre qu’ils portent.

L’Entrée à Jérusalem:

Tous les manuscrits éthiopiens qui présentent cette illustration, l’étendent sur deux pages face à face. D’un côté se trouve le Christ chevauchant vers la Ville Sainte, et de l’autre sont peints les personnages accessoires dont les apôtres.

            LES SIMILITUDES ENTRE LES MINIATURES

                        ETHIOPIENNES ET SYRIAQUES

Le Codex Rabulensis ou évangéliaire de Raboula a certainement eu une influence profonde sur la miniature chrétienne non seulement chez les Ethiopiens mais également chez lez Byzantins, les Arméniens et même les Latins[46]. Ce manuscrit syriaque appartenant au domaine maronite remonte à l’an 586. Il s’agit d’un Tetraévangile complet de 292 feuillets de 33 cm de hauteur et 25 cm de largeur écrits sur deux colonnes de 20 lignes.

Il fut transporté de Beit-Zogba au siège patriarcal de Mayphouq dans le Mont-Liban en passant sans doute par Kfar-Hay. Par la suite, lorsque le patriarche fit de Notre-Dame-de-Cannobin son nouveau siège, l’Evangéliaire y fut déposé. A une époque plus tardive (XVIII° siècle), l’Eglise libanaise l’envoya à Florence où il s’y trouve encore dans la Bibliothèque Médicéenne Laurentienne sous le code Laur. Plut. I,56.

Nous pouvons lire en syriaque au folio 292 du manuscrit:

“Ce livre fut terminé le 6 du mois de Shbat (février), la quatrième indiction, l’an 897 d’Alexandre (586 D.C.)…”     (Trad. latine Assemani. Trad. française J. Leroy).[47]

Ce colophon fait du Codex Rabulensis, le plus ancien manuscrit à miniatures dont la date exacte nous soit connue.

(…) Le manuscrit de Florence étant le plus ancien manuscrit syriaque orné de peintures, il doit servir de base de comparaison avec tous ceux qui, venus dans la suite et conservés malgré les injures du temps et des hommes, sont arrivés jusqu’à nous [48]

LES CANONS DE CONCORDANCE

Depuis qu’Eusèbe de Césarée a réussi à réduire les quatre évangiles à un système numérique[49], les canons de concordance furent introduits dans la composition, ce qui permit aux artistes de les placer sous forme de listes de numéros sous un arc sur colonnes, composant ainsi les Tables à Canons.

Nous lisons encore chez Claude Lepage:

“Dans les manuscrits éthiopiens les plus anciens que l’on possède –tous des évangéliaires- l’illustration dérive directement dans son programme de celle des évangéliaires grecs, syriaques ou arméniens du VI° au XII° siècles. Des Tables de Concordance des quatre textes de l’Evangile sont placées en frontispice, avec un décor architectural coloré et peuplé d’oiseaux et d’animaux divers.[50]

En plus de la composition, le Codex Rabulensis établit déjà au VI° siècle, les modèles de représentations qui seront respectés jusque dans la Renaissance. Ainsi le codex définit la physionomie des apôtres que nous retrouvons au Moyen Age dans les églises du Liban et à travers le monde chrétien.

Dans les fresques de Béhdidét[51] (pays de Byblos) au Liban, nous retrouvons Marc dans la force de l’âge et Matthieu en vieillard. Tous deux sont encadrés par des arcs sur colonnes et ont leurs noms écrits en syriaque dans leurs nimbes.

Ce qui mérite aussi une certaine attention, ce sont les mondes dans lesquels baignent les portraits du Rabulensis. Une différence essentielle oppose les évangélistes debout à ceux assis. Les premiers, nimbés, ont un air hiératique chrétien alors que les seconds, sans auréoles, obéissent à la posture de l’antiquité païenne. Tout cela d’après Leroy rappelle encore une fois les manières respectives du peintre qui réalisa les personnages debout et de celui qui les peignit assis. Mais qu’il dénote une facture antique ou chrétienne, le style artistique dont il est question reste profondément spirituel. Le rejet de l’antiquité et de la philosophie d’Aristote reste le caractère essentiel de l’art auquel appartient le Codex Rabulensis. La frontalité est adoptée comme principe de base bannissant la troisième dimension. Dans ce domaine, la culture orientale s’est donnée toute entière à Platon ou au néoplatonisme.

Les Orientaux étaient comme opposés aux influences hellénistiques. La culture grecque étant celle de la classe dirigeante de l’Empire, était devenue pour les peuples d’Orient, synonyme de servitude et de domination étrangère. Ils lui opposèrent alors leurs cultures et leurs arts antiques et, face au réalisme occidental, ils s’accrochèrent au platonisme. Avec le christianisme, le néoplatonisme se développa pour atteindre au III° siècle avec Plotin, une proportion encore plus importante. Un écrivain du V° siècle, le pseudo-Denys l’Aréopagite[52], fut profondément marqué par l’influence de Proclus, disciple de Plotin, et ses écrits réalisèrent de manière encore plus durable, la fusion entre le néoplatonisme et le Christianisme qu’il soit grec ou syriaque. Ceci se concrétisa dans l’art des Eglises orientales et donc de Byzance.

Les fresques, les icônes et les sculptures du monde chrétien de l’époque, à majorité oriental, sont donc sous l’influence du néoplatonisme mais aussi à la recherche d’un art qui pourrait s’opposer aux théories préconisées par les iconoclastes. Ces mêmes artistes qui avaient commencé par rejeter la beauté matérielle, durent résister par la suite à une sècheresse iconoclaste qui dépassait largement le conflit monophysite-chalcédonien et qui s’intensifiait avec la venue de l’Islam. C’est aussi de cette série de polémiques qu’est née la culture artistique byzantine. Les fresques qui couvrent les églises rupestres du Liban et d’Ethiopie témoignent de la richesse artistique du Moyen Age, et du caractère constant de la tradition iconographique orientale qui s’étendit jusqu’en Europe où elle se développa dans l’art roman, dans sa sculpture et dans sa peinture[53]. Elle recula à partir du XII° siècle devant l’engouement grandissant pour Aristote, un intérêt qui fit apparaître de nouvelles théories et un style nouveau, le gothique.

L’Italie de la Renaissance, se tournant vers la civilisation gréco-romaine, reprit comme principes de l’art et de la beauté, l’esprit latin que nous pouvons schématiser par l’imitation parfaite de la nature, l’unité et l’harmonie. L’unité qu’elle vénérait creusa encore plus le fossé entre Orient et Occident, cette valeur étant trop éloignée de la culture dualiste, telle la conception du bien et du mal, que l’Empire Romain d’Orient hérita de la pensée perse.  L’harmonie des proportions vint remplacer le dialogue des couleurs  et la chaleur qui s’en dégage. Quant à l’imitation réaliste et la copie de la nature, elle remplaça la platitude et les représentations bidimensionnelles par le volume et la masse de la réalité. Mais malgré ces changements, et les multiples tentatives de la Renaissance en quête de la culture antique gréco-latine, l’Occident n’est plus le même. Il est profondément imprégné par l’Orient spirituel qui continue de hanter son art.

MINIATURES DU CODEX RABULENSIS

Dans le Codex Rabulensis comme dans les manuscrits grecs, arméniens et éthiopiens qui s’en inspirèrent, il y a une juxtaposition des mondes chrétien et païen. La symbolique chrétienne est ici extrêmement riche et fait appel à un très vaste patrimoine iconographique dont une partie pourrait être, selon certains chercheurs, d’origine païenne. Ainsi des éléments animaux et végétaux côtoient d’autres vignettes qui représentent la vie du Christ. Toutes ces miniatures sont dans les marges des folios où se trouvent les Canons de Concordance.

Dans le Codex Rabulensis, nous assistons à un divorce entre le texte et l’image. Les pages consacrées à l’écrit contiennent le texte syriaque des évangiles sous sa version simple dite Péshitto. Les folios réservés à l’illustration contiennent, comme élément principal de la composition, les Tables à Canons. De part et d’autre, au milieu des marges, se trouvent les vignettes illustrant les principaux épisodes de la vie du Christ. Toujours dans les marges au-dessus et au-dessous, nous remarquons une extraordinaire variété d’images animales et végétales qui font du Rabulensis et du Par. Syr. 33, les seuls manuscrits iconiques de ce genre. Mais le Par. Syr. 33 est loin d’atteindre la richesse du décor du Laur. Plut. I,56 de Raboula. Il ne contient généralement qu’une seule vignette dans chaque marge alors que le manuscrit libanais est une véritable profusion d’images.

Si les vignettes centrales qui résument la vie de Jésus sont en relation avec le texte, les plantes et les volatiles eux, sont parfois éparpillés au hasard de la composition sans véritable souci narratif. A part certaines de ces images à valeur symbolique, nous retrouvons la survivance de quelques habitudes païennes qui aiment décorer les chambres funéraires avec des éléments terrestres qui égayent l’atmosphère et y amènent la vie. Ces sujets avec les Canons de Concordance, font du Laur. Plut. I,56 le plus riche chef-d’œuvre de l’art des manuscrits syriaques.

ETUDE COMPARATIVE

ILLUSTREE

LES CROIX A ENTRELACS

Nous considérons ici trois croix syriaques provenant des manuscrits Syr.30[54], Syr.70 (pl. IV.4)[55] et Syr. 40[56] de la Bibliothèque Nationale à Paris. Leur rapprochement -surtout celle du Syr.70- avec les croix éthiopiennes est frappant. Leur développement en entrelacs ou arabesques à la manière du khatchkar (croix de pierre) arménien est d’une grande richesse et d’une diversité étonnante. La quatrième croix présentée ici est éthiopienne (pl. IV.2) en cuivre et sert au processions. Remontant au XIX° siècle, elle appartient à la collection de la bibliothèque Bar Julius au Liban. Ses motifs sont typiques de l’art éthiopien puisqu’elle est issue de la démultiplication des croix autour de la croix centrale. A la périphérie de cette composition apparaissent les oiseaux toujours la tête vers le haut comme dans la miniature de Saint Matthieu[57] du manuscrit d’Addis-Abeba (XIV°-XVI° siècle). Ces volatiles ont de plus la même facture que dans les manuscrits syriaques comme le Codex Rabulensis[58] (VI° siècle).

La croix fait l’objet d’une vénération particulière en Ethiopie et au Liban où le jour de la fête de la Croix le ciel nocturne s’embrase de croix de feu et de lumière élevées sur tous les toits des habitations. Cette tradition commémore le bûcher que fit allumer l’impératrice Hélène, mère de Constantin, en célébration de la trouvaille de la Sainte Croix du Sauveur à Jérusalem vers le début du IV° siècle.

“La Croix, Masqal en éthiopien, écrit Francis Anfray. Elle est omniprésente dans l’art comme dans la religion des Chrétiens d’Ethiopie dont elle constitue le principal emblème tutélaire”.[59]

“La croix ainsi honorée, écrit encore Claude Lepage, n’est pas l’infâmant instrument de supplice que les Chrétiens hésitèrent longtemps à représenter. C’est la Croix-Trophée, l’instrument de la victoire du Christ sur la Mort, le Signe de sa Résurrection”.[60]

                       LA DORMITION DE LA TRES SAINTE MERE DE DIEU

Nous pouvons établir une comparaison entre la fresque syriaque de l’église libanaise Saint-Charbel[61] à Maad (pl. VI) et un manuscrit éthiopien consacré à l’histoire de la vie de la Vierge. Cet ouvrage de la bibliothèque Bar Julius au Liban fut composé au XIX° siècle en Ethiopie, sur du parchemin de 17 x 13 cm. Il est classé sous le code Bibl. Bar-Jul. Eth. 5 (pl. VII).

L’église de Maad, ancien temple de Satrape, est dédiée à Saint Cerbelus, en syriaque Charbel, un martyr d’Edesse mort sous l’empereur Trajan en l’an 121. Elle fut visitée par Ernest Renan et Henri Lammens qui soulignèrent son importance pour l’art au Liban mais aussi comme patrimoine de l’humanité. Plusieurs inscriptions grecques sont gravées dans la pierre et l’une d’elles, envoyée par Ernest Renan au musée du Louvre, date de l’an 8 av. J.C[62]. Les erreurs de grec qu’elle contient trahissent l’appartenance du terroir libanais à la culture araméenne. L’église contient plusieurs fresques dont celle de l’abside représentant Saint Cyprien, et d’autres dans une chapelle derrière l’autel, représentant Sainte Marguerite, Saint Jean Maron (premier patriarche des Maronites) et enfin la Dormition.

Le thème de la Dormition orne la paroi Sud de la pièce Sud derrière l’absidiole.Conformément à la tradition iconographique, la Vierge est allongée au centre de la fresque sur un lit richement orné, et porte un maphorion jaune. Un grand nombre de personnes l’entourent, le plus grand d’entre eux étant le Christ qui se place au centre et porte dans sa main droite un enfant nimbé et emmailloté représentant l’âme de sa mère.

                 A droite du Christ, six apôtres et un évêque entourent la tête de la Vierge. Chacun de ces personnages a des traits particuliers et exprime la souffrance sur son visage: l’un essuie ses larmes avec son habit, d’autres posent la main sur le visage en signe de tristesse (pl. VI). Le seul personnage de ce groupe qui porte un omophorion blanc parsemé de croix noires, serait le saint Denys l’Aréopagite (pl. VI). A gauche de Jésus, un autre groupe entoure les pieds de Marie. Alors que Saint Pierre prend place dans le groupe de gauche près de la tête (pl. VI), Saint Paul, selon la tradition chrétienne, pleure penché vers les pieds de la Mère de Dieu. Au-dessous de Saint Paul, se trouve l’archange Michel abattant l’épée sur Jéphonias qui tentait de renverser le lit mortuaire.

Dans le manuscrit illustré de la bibliothèque Bar Julius nous retrouvons la même disposition bien que le Christ y soit absent. L’axe de symétrie où se trouve le Christ de Maad reste le même. L’omophorion ne figure pas sur la Mère de Dieu car son corps est enveloppé dans un linceul à la manière des momies égyptiennes.

Néanmoins, nous retrouvons la même diversité de signes de tristesse : les uns posent la main sur leur tête, d’autres se tiennent les épaules, et tous regardent la Vierge en exprimant leur souffrance. Saint Pierre se tient près de la tête de Marie tandis que Saint Paul se penche vers ses pieds comme dans la fresque de Maad. Là aussi Jéphonias qui tentait de renverser le lit, eut la main tranchée par l’archange Michel.

La disposition symétrique est donc clairement la même dans la fresque syriaque et dans la miniature éthiopienne de la Dormition. La composition préserve dans les deux cas les axialités horizontale (le corps de la Vierge) et verticale (l’axe de symétrie). Enfin les expressions et les traits des visages refusent la répétition stéréotypée et amènent la vie et le sentiment humain dans ces deux œuvres.

LES YEUX, LA STYLISATION ET LES PROPORTIONS

Il arrive que la stylisation à l’africaine ou à l’éthiopienne apparaissent dans certains rares manuscrits syriaques. Nous pensons notamment au Syr. 16 de la John Rylands Library (Manchester) dans lequel le folio 118 représente le Labyrinthe[63]. Comme dans le F. Syr. 1[64] de l’Université Saint-Joseph (Beyrouth), la ville de Jéricho avec ses sept remparts est représentée par un labyrinthe. Selon le même processus de schématisation, les ennemis de Josué Bar Nun (armé d’une lance) sont réduits à de simples visages stylisés et dominés par les cercles des yeux.

Ces deux manuscrits sont des grammaires syriaques. Celui de Beyrouth est daté de 1775 tandis que celui de Manchester serait attribué à Bar Hebraeus (mort en 1286). Leurs dessins, d’une facture barbare il est vrai, possèdent une force dans le trait et l’expression des regards qui ne peut que rappeler l’art magique des rouleaux éthiopiens. Et à ce sujet Jules Leroy écrit justement:

“Cette pauvre iconographie est intéressante parce qu’elle pose la question de l’existence chez les Chrétiens de langue syriaque d’une imagerie de caractère magique, dont les exemples sont rares”.[65]

Les regards insistants du manuscrit syriaque de Bar Hebraeus (Manchester) rappellent ainsi étonnement le graphisme des trois rouleaux éthiopiens datant du XIX° siècle, à la bibliothèque Bar Julius (Liban) (pl. IX). Chaque rouleau est de la taille de la personne qui le portait[66] allant jusqu’à plus de 2 mètres de longueur pour moins d’une dizaine de centimètres de largeur. Ils comportent aussi chacun trois illustrations : une au niveau supérieur (que nous appellerons super), une au niveau central (médian) et une au niveau inférieur (infer).

 Le rouleau Bibl. Bar-Jul. Eth. 2 montre au niveau médian (pl. IX.2) la réduction d’une illustration à une simple série de visages ne comportant que les yeux et le nez. Mais cela même disparaît dans le dessin infer du rouleau Bibl. Bar-Jul. Eth. 3 où une frise se réduit à une série d’yeux reliés par un guillochis (pl. IX.6). Ainsi la croix et l’œil sont les motifs essentiels de cet art magique destiné à protéger, guérir et donc pour les Ethiopiens, éloigner le mauvais œil.

Le même motif à guillochis ou entrelacs enrichis d’yeux apparaît dans le manuscrit Bibl. Bar-Jul. Eth. 4, remontant à la fin du XIX° siècle. Ce genre de frise est courant dans l’art chrétien surtout syriaque et arménien. Le manuscrit syriaque de Berlin, Preuss. Bibl. Sachau 304[67], en fournit une, assez typique. Les exemples éthiopiens rajoutent donc au prototype syro-byzantin, l’œil avec toute sa symbolique à la fois magique et sacrée.

Nous retrouvons à nouveau cette insistance sur le regard quelque peu figé, dans un autre manuscrit syriaque de Londres: le Brit. Mus. Add. 7169[68]. Au folio 13 v. la Pentecôte est représentée par les rayons lumineux de l’Esprit-Saint descendant sur chacun des apôtres. Ces derniers sont assis les uns auprès des autres et orientent leurs regards vers la source lumineuse sacrée contrairement aux personnages éthiopiens où les Justes fixent souvent le spectateur. Ainsi dans l’Entrée à Jérusalem du manuscrit d’Addis-Abeba (XIV°-XVI° siècle)[69] les apôtres sont alignés comme dans le manuscrit syriaque de Londres mais regardent droit devant eux. On en voit ici que huit car le reste de l’illustration se trouve sur l’autre page comme toujours pour l’Entrée à Jérusalem dans les manuscrits éthiopiens[70].

Le dessin du manuscrit syriaque de Londres est plus raffiné que dans les grammaires de Manchester et de Beyrouth, mais reste très schématique et souligne fortement les yeux. Si la répétition rythmique des yeux évoque les motifs magiques éthiopiens, les proportions des corps renvoient elles à l’iconographie copte où les personnages sont souvent de taille très réduite. Ceci se remarque également de manière évidente dans l’Entrée à Jérusalem du manuscrit d’Addis-Abeba et dans le manuscrit de la bibliothèque apostolique Barberini Or. 118[71]. On y voit au folio 98 v. le Christ entre Moise et Pierre. Les proportions de leurs corps sont différentes de celles des personnages du Rabulensis (pl. XIX) bien plus allongés.

L’ENTRÉE A JERUSALEM

Dans le manuscrit de Kebran (1420) (pl. XIV)[72] cette scène est, comme toujours, étalée sur deux pages qui se font face. Sur la page que nous représentons, nous voyons le Christ se diriger vers la Ville Sainte. Monté sur un âne, il chevauche les vêtements que le peuple étend sur son chemin. Un rapprochement peut être fait avec le manuscrit syriaque de la bibliothèque apostolique du Vatican: le Syr. 118 (pl. XIII)[73]. Il s’agit du Recueil des Homélies de Jacques de Sarug qui doit remonter au X°-XI° siècle et qui appartenait avant son envoi au Vatican, à l’Eglise libanaise maronite.

Au folio 212 r. représentant également le thème des Rameaux, le Christ apparaît pieds nus sur un âne gris. Ici et dans le manuscrit de Kebran, les apôtres sont regroupés comme en un seul corps. Les gens en bas à droite sont peints plus petits que les apôtres et se permettent plus de liberté dans le mouvement.

Si nous revenons à l’Entrée à Jérusalem du manuscrit d’Addis-Abeba, nous constatons un petit personnage monté dans un sycomore au-dessus des huit apôtres. Il s’agit de Zachée dont l’Evangile signale la présence à Jéricho mais que la tradition éthiopienne a placé dans la scène du Dimanche des Rameaux[74]. Ceci constitue ainsi une différence entre les iconographies syriaque et éthiopienne.

LES INFLUENCES MONGOLES ET PERSES

Le British Museum de Londres possède un évangéliaire syriaque de l’an 1499: Rich. 7174[75] dans lequel le folio 212 r. représente les douze apôtres debout. Ils sont pris dans deux séries d’arcades superposées et présentent des traits indéniablement mongols avec une chevelure noire couverte d’un turban, de fines moustaches allongées et les yeux noirs bridés. Le folio 1 de ce manuscrit contient lui, les quatre évangélistes assis en tailleur à la manière orientale dans des cercles. Par la disparition de l’arcade dans la composition, la facture mongole est encore plus évidente dans ce folio. La variété artistique dans le monde syriaque est ainsi flagrante lorsque nous comparons l’influence hellénistique dans l’évangéliaire maronite de Raboula (Laur. Plut. I. 56) avec les traits mongoles de l’évangéliaire nestorien de Mésopotamie (Rich. 7174).

De même facture mongole est le roi-mage central de l’Adoration des Mages dans le manuscrit éthiopien de Kebran (XV° siècle)[76]. Les yeux bridés, la moustache effilée, ses vêtements sont également d’inspiration orientale. Nous retrouvons ces mêmes caractéristiques sur le Christ de l’Ascension de ce même manuscrit (pl. XXIV)[77]. Quant aux vêtements touffus et la tunique en V, ils réapparaissent sur Hérode dans la Décapitation de Jean-Baptiste du manuscrit éthiopien de Misile Fasiladas (XIV°-XVI° siècles)[78].

L’influence perse se retrouve plus nettement encore dans le Rich. 7174 de Londres au folio 12 représentant les bergers de la Nativité. Là les personnages vêtus à la persane, figurent disséminés sur un parterre de plantes à la manière des tapis iraniens.

LA CRUCIFIXION

Ce thème est illustré au folio 13 r. du Codex Rabulensis (pl. XIX). C’est l’un des trois tableaux rectangulaires du manuscrit. Mais contrairement aux deux autres – le 13 v. (l’Ascension)[79] et le 14 v. (la Pentecôte)[80]– le cadre ici, renferme deux illustrations séparées par un double trait fin. La partie haute occupe plus de la moitié du tableau et représente la Crucifixion alors que celle du bas constitue la suite dans le temps et illustre la Résurrection. Le cadre global est muni d’une décoration de demi-croix en gradins, un motif que nous retrouvons très souvent dans les iconographies arménienne et éthiopienne.

La composition des folios 13 r., 13v. et 14 v. est, comme pour les autres folios du manuscrit, très symétrique. Mais si la répartition des différents éléments obéit à la symétrie, les détails eux, restent toujours libres et vivants. Dans l’illustration supérieure du folio 13 r. la croix du Christ forme le centre de la composition. Les inscriptions qui s’y trouvent sont l’une syriaque et l’autre grecque. La première se situe au-dessus du Christ et dit “HONO MALKO D YOUDOYÉ” (Celui-ci est le roi des Juifs). La seconde inscription est au-dessus de Longin et présente son nom en grec, mais la faute d’orthographe trahit l’appartenance des artistes au monde syriacophone.

L’illustration du bas du folio possède une composition intéressante car elle rappelle le système de bandes dessinées. Le sépulcre qui constitue le centre de la symétrie, sépare la peinture en trois scènes: au centre, l’ouverture du sépulcre, à gauche, les Myrrhophores et à droite, l’apparition du Christ ressuscité aux saintes femmes.

Dans le registre supérieur la Crucifixion apparaît selon une composition fort symétrique avec le Christ au centre. Au-dessus de sa croix figurent les deux astres comme dans la Crucifixion du manuscrit de Kebran (pl. XX)[81]. En dessous, les deux manuscrits montrent le légionnaire à la lance et celui portant l’éponge imbibée de vinaigre. De part et d’autre les deux larrons sont tournés vers le Christ.

“…L’Ethiopie, écrit Jules Leroy, nous a gardé des types et des représentations qui remontent aux origines même de l’iconographie chrétienne. Qu’on consulte ici les planches où est reproduite la Crucifixion. Celle de Kebran est tout à fait conforme au schéma byzantin dont la première expression est contenue dans un manuscrit syriaque de l’année 586 (Le Codex Rabulensis):”.[82]

Contrairement à l’exemple de Kebran, deux autres manuscrits éthiopiens présentent le type de Crucifixion à croix nue où les deux larrons se contentent d’un regard frontal. Il s’agit des manuscrits d’Addis-Abeba[83] et de Sainte-Arsima de Dek[84] tous deux des XIV°-XVI° siècles. Le Christ y est représenté par son symbole, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, au-dessus de la croix. Ceci doit être lié, comme chez les Syriaques nestoriens, non au monophysisme, mais aux ampoules de pèlerinage de Jérusalem qui adoptèrent ce type de représentation au VI° siècle.

Un autre exemple éthiopien de la même période (XIV°-XVI° siècle) simplifie encore plus la composition. Il s’agit du manuscrit de Jehjeh Guiorguis[85] dans lequel l’agneau a aussi disparu ainsi que les deux légionnaires et les croix des larrons. Ces derniers en revanche ont repris leur regard de profil vers la croix du Sauveur. Les deux astres: la lune de sang et le soleil cachant sa lumière ont également disparu.

Dans tous ces exemples l’absence de pierres précieuses sur la croix permet de penser qu’il s’agit de la croix historique. Seule la croix du manuscrit d’Addis-Abeba représente la Croix Glorieuse ornée de pierres précieuses comme celle que l’empereur Théodose fit élever sur le Calvaire.

LA MISE AU TOMBEAU

Deux évangéliaires syriaques remontant à l’an 1220, illustrent ici le thème de la Mise au Tombeau: Le Add. 7170 du British Museum de Londres[86], et le Syr. 559 de la Bibliothèque Apostolique du Vatican[87] écrits tous deux selon la version Péshitto (simple) et Héracléenne.

La Mise au Tombeau illustrée dans les folios 155 r. de l’Add. 7170 et 143 r. du Syr 559, montre une scène pleine d’émotion comme dans la fresque de la Dormition à Maad (pl. VI). Joseph et Nicodème, l’un au cheveux blancs l’autre brun, portent le corps du Sauveur tandis que les autres personnages se lamentent. Marie s’approche elle de la tête nimbée de son Fils.

Les illustrations éthiopiennes de ce même thème ne montrent que les deux personnages de Joseph et Nicodème. Les autres ont disparu, de même que la Mère de Dieu et le visage du Christ caché dans le linceul. Le déplacement semble se faire dans le sens de l’écriture: de droite à gauche pour les Syriaques, et de gauche à droite pour les Ethiopiens.  Les quatre exemples éthiopiens choisis ici sont ceux des manuscrits de Jehjeh Guiyorguis[88], de Kebran[89], de Sainte-Arsima de Dek[90], et d’Addis-Abeba[91]. Si dans ces quatre folios les traits et expressions figés des visages ont perdu l’émotion des modèles syriaques, dans les deux premiers folios (ceux de Jehjeh Guiorguis et de Kebran) les deux personnages sont bruns faisant disparaître toute caractéristique de différenciation. Le penchant éthiopien pour le stéréotype semble donc l’emporter dans ce cas.  

Nous pouvons également comparer le tombeau du manuscrit d’Addis-Abeba avec celui du folio 13 r. (Résurrection) du Rabulensis (pl. XIX). Il s’agit d’édicules sur deux colonnes rappelant les Canons de Concordance.

L’ASCENSION

Si nous mettons côte à côte les versions syriaque, éthiopienne et arménienne du thème de l’Ascension, les correspondances sont frappantes. C’est en effet ce que nous constatons dans l’évangéliaire maronite de Raboula (an 586, folio 13 v, Bibliothèque Médicéenne Laurentienne de Florence) (pl. XXIII)[92], dans l’évangéliaire arménien de la Reine Melké (an 862, folio 8, Bibliothèque des Pères Mékhitaristes de Venise)[93], et dans le manuscrit éthiopien de Kebran (an 1420) (pl. XXIV)[94].

Il est clair qu’Arméniens, Grecs et Ethiopiens se sont largement inspirés des anciens modèles syriaques avec au premier plan le Codex Rabulensis ou Laur. Plut. I. 56.

Dans les exemples syriaque et éthiopien choisis, le thème de l’Ascension est illustré par une grande composition. En son registre supérieur, le Christ figure dans une mandorle tenue par deux anges et surmontant des ailes de chérubins qui laissent apparaître les quatre symboles évangéliques.  Nous reconnaissons alors le lion de Saint Marc, l’aigle de Saint Jean, le taureau de Saint Luc et enfin le visage de Saint Matthieu.

Dans le registre inférieur, la composition respecte la symétrie du haut. Nous y retrouvons Marie au centre avec, de chaque côté, six apôtres. Au premier plan du groupe de droite dans le Rabulensis, nous reconnaissons les traits iconographiques de Saint Pierre tandis que dans le groupe de gauche, au premier plan, nous devinons Saint Paul grâce à son aspect chauve et barbu. Dans le manuscrit de Kebran les personnages sont moins identifiables mais restent différenciés les uns des autres. Comme dans le modèle syriaque, une certaine agitation s’empare des apôtres témoins de l’événement. Certains élèvent la main vers le ciel indiquant le Christ.

Une différence cependant apparaît entre l’illustration éthiopienne et les exemples syriaque et arménien cités. En effet dans le manuscrit de Kebran la mandorle est portée non par des anges mais par les quatre symboles évangéliques, d’ailleurs inexistants dans l’évangéliaire de la Reine Melké. Cette tradition ne semble pas étrangère à l’art copte d’Egypte.

L’ANNONCIATION

Au folio 4 r. du Codex Rabulensis (pl. XXV.2)[95], le Premier Canon est concerné par quatre évangélistes, et nécessite par conséquent une composition à quatre arcs. Le milieu de chacune des marges du folio est occupé par le thème de l’Annonciation avec l’ange à gauche s’adressant à la Vierge à droite. Au dessus du nimbe de l’ange nous lisons en syriaque estranghélo: (Salut) à toi pleine de grâce. En face, au-dessus de la Vierge, la réponse dit: Me voici la servante du Seigneur.

 En signe d’interpellation, l’ange tend une main vers la vierge qui fait de même. Mais les deux personnages, tout en se “regardant”, gardent une attitude frontale afin de faire participer le spectateur à l’événement. Car il s’agit là d’un événement important et décisif, celui de l’inauguration de la Nouvelle Alliance.

Le manuscrit éthiopien de Jehjeh Guiorguis (pl. XXV.1)[96] reprend le même schéma et les mêmes principes que le modèle syriaque. L’ange est à gauche et la Vierge à droite. Tous deux tendent un bras et gardent leur air hiératique en fixant le spectateur. Dans l’exemple éthiopien la Vierge est entrain de filer et les couleurs du fond évoquent l’Afrique. Mais ce qui fait réellement la différence, c’est l’ambiance quelque peu figée d’une scène qui comporte généralement plus de mouvement.

LA NATIVITE

Le manuscrit syriaque Or. 3372 du British Museum[97] remontant au XII° ou XIII° siècle, représente la scène la Nativité au folio 4 v (pl. XXVI). A la comparer à celle du manuscrit éthiopien de Kebran (XV° siècle) (pl. XXVII.1)[98], les correspondances ne sont pas négligeables :

Jésus est couché au centre de l’image sous un faisceau lumineux et entouré d’anges. Sa Mère est allongée à droite sur un tissu rouge. Dans l’exemple syriaque les trois rois-mages se trouvent à droite et le berger à gauche. Ces positions sont inversées dans le manuscrit de Kebran. Dans les deux cas cependant des anges s’adressent aux mages et aux bergers accompagnés de leur bétail. Dans les deux cas des scènes accompagnent la Nativité dans le registre inférieur. Dans le Or. 3372 il s’agit du Baptême du Christ, et dans le manuscrit de Kebran c’est le Bain de l’Enfant rapporté par les évangiles apocryphes.

Les deux registres du manuscrit syriaque sont séparés par une ligne tressée alors que dans l’exemple éthiopien de Kebran les deux scènes appartiennent au même champ. Le manuscrit éthiopien Eth. 5 (XIX° siècle) de la bibliothèque Bar Julius (pl. XXVII.2) au Liban représente cependant un folio à deux registres séparés par une ligne à zigzags. Il s’agit de l’Ascension de la Sainte Mère de Dieu. Marie apparaît alors dans le registre inférieur entourée des douze apôtres, et dans le registre supérieur, debout sur son symbole : le croissant de lune. Six anges l’accompagnent dans sa mandorle à travers les nuages.

LES EVANGELISTES

Deux des Canons de Concordance du Codex Rabulensis remplacent les vignettes marginales habituelles par les évangélistes. Ainsi dans le folio 10 r. (Canon VIII)[99] nous reconnaissons à droite Marc et à gauche Luc. Dans le folio 9 v. (Canon VII) (pl. XXVIII.2)[100] Matthieu est assis à droite et Jean à gauche.

Les évangélistes sont toujours isolés dans un espace compris entre un arc et deux colonnes comme l’architecture des Canons de Concordance. Cette même tradition apparaît également dans les fresques comme celle de l’abside de Saint-Théodore à Behdidet[101] (Liban).

Si Marc et Luc sont debout et portent des livres fermés à riches reliures, Matthieu et Jean sont eux assis et tiennent des parchemins ouverts. Cette même posture est reprise par les manuscrits éthiopiens des XIV°-XVI° siècles que nous avons choisi de montrer à titre d’exemple. Nous retrouvons ainsi Saint Luc (pl. XXIX.1)[102] et Saint Marc[103] dans le manuscrit de Kebran, Saint Matthieu[104] dans le manuscrit de Jehjeh Guiorguis, et Saint Jean[105] dans celui de Dabra Maryam. Comme Saint Jean dans le Rabulensis, ils sont légèrement penchés vers la droite et travaillent ou méditent installés sur leur fauteuil.

Les colonnes et arcades de ces manuscrits éthiopiens reprennent les mêmes motifs que celles du Codex Rabulensis: séries de losanges ou de zigzags sur les colonnes, démultiplication concentrique des arcades décorées de zigzags, de damiers ou d’entrelacs, et enfin une fioriture de plantes et d’oiseaux au-dessus de l’édicule.

L’EDICULE TRIANGULAIRE

Le folio 2 r[106] représente la seule architecture de type triangulaire dans le Codex Rabulensis. Les colonnes n’encadrent pas de Canons de Concordance. Nous ne sommes donc pas face à des arcades géminées mais devant un baldaquin triangulaire porté par trois colonnes ramenées dans un même plan par la dissolution de la perspective.

             Le sommet est comme pour les tables à canons, flanqué de plantes et de volatiles. Dans ce cas il s’agit d’une guirlande de fleurs et de deux magnifiques paons. En dessous, dans l’édicule, nous reconnaissons à droite Ammonius d’Alexandrie qui se tourne vers la gauche comme pour discourir avec Eusèbe de Césarée qui porte un rouleau de parchemin. Ces deux personnages sont les premiers à avoir fait des quatre évangiles, un évangéliaire[107]. Leurs noms sont inscrits au-dessus de leurs têtes en caractères syriaques estranguélo à la manière des fresques ou de certaines icônes où les noms prennent places dans les nimbes.

Le manuscrit de Kebran[108] présente également ce genre d’édicule triangulaire porté sur des colonnes au même motif sinueux. Il est même surmonté de paons comme dans le modèle syriaque du VI° siècle. Mais il s’agit là de la Fontaine de Vie, et la colonne centrale est remplacée par un rideau. Si la source est absente de cette illustration, la présence des deux cerfs venus s’abreuver fait allusion au prototype original de la Fontaine de Vie. Ce thème figurait en tant qu’illustration finale des Canons d’Eusèbe, mais il ne fut pas conservé par tous les manuscrits. Le manuscrit de Kebran constitue un des rares exemples de sa survivance, bien que bien modifié.

Nous lisons au-dessus des cerfs, le mot syriaques Baboula écrit en lettres guèzes. Ce terme désignant le Bubalus –ou bœuf sauvage- n’existe pas en éthiopien et montre bien –par sa présence ici- que l’archétype des Canons de Concordance éthiopiens est de provenance syriaque.

                                                   CONCLUSION

Les influences syriaques dans l’art sacré éthiopien sont nombreuses, directes ou indirectes, comme c’est le cas pour d’autres arts chrétiens d’Orient ou d’Occident. Elles peuvent se faire par le contact entre moines syriaques et éthiopiens ou par l’intermédiaire des Coptes. L’influence syriaque peut également être générale : nous avons vu les canons artistiques syriaques se propager à travers tout le monde chrétien et pénétrer toutes ses composantes. Il y a aussi les apports étrangers qui couvrirent à la fois les ères syriaques et éthiopiennes rajoutant ainsi à leur manière, des points communs de part et d’autre.

Parmi les influences directes, il y a bien entendu Frumentius mais aussi les Neuf Saints syriaques d’Ethiopie. Il ne faut pas oublier d’autre part les monastères rupestres éthiopiens dans la Qadisha à une époque où le Liban parlait encore le syriaque et où cette culture était bien plus vivace qu’aujourd’hui.

 Parmi les influences indirectes, nous songeons à Deir-el-Surian dans le désert égyptien et aux nombreux contacts avec les Coptes d’Egypte.

Mais pour parler d’influence syriaque plus générale et plus profonde encore sans doute, il faudrait évoquer la période byzantine, le VI° siècle plus exactement. Cette période vit la naissance du Codex Rabulensis et bien d’autres images et doctrines syriaques qui allaient participer à la formation de l’art chrétien et à ses principes qui ne connaîtront plus de frontières. L’art sacré éthiopien reçu ainsi le même parfum syriaque que les autres civilisations chrétiennes. Il lui donna alors sa propre coloration africaine.

Les apports étrangers sont révélés entre autre par l’ingrédient mongol qui, bien que faible chez les Syriaques du Liban, fut assez marquant chez ceux de Mésopotamie. Ainsi l’Ethiopie fut portée par le même tourbillon d’influences qui mouvemente le Croissant Fertile et l’enrichit sans cesse.

Les rapprochements soulignés dans ces pages entre les peintures ou miniatures éthiopiennes et syriaques ne font que confirmer l’hypothèse des influences et des multiples échanges ainsi que celle des sources communes. Les ressemblances sont là : entrelacs, compositions (dans la Dormition), exagérations du regard, symboliques (dans la Crucifixion), composantes (dans l’Ascension), gestuelle (dans l’Annonciation), architecture (dans les Tables à Canons)…

Ce que nous constatons après les analyses historiques et artistiques présentées dans cette recherche, c’est que l’Ethiopie fut influencée directement et indirectement par la culture théologique et artistique syriaque, mais qu’elle fit également partie du vaste monde chrétien dans lequel tous les courants d’idées et d’images circulaient constamment. Parmi ceux-ci la composante syriaque ne fut pas des moindres. Elle marqua de son sceau toutes les civilisations chrétiennes; l’Ethiopie en fait partie.

     ILLUSTRATIONS

IV.2. Liban, Bibl . Bar Julius, croix de procession éthiopienne en cuivre, 32 cm, XIX° siècle, décor à oiseaux orientés vers le haut, (photo : Bibl. Bar-Jul)

IV.4. Paris, Bibl. Nat. Syr. 70, f° 1, (photo : LEROY Jules, Les manuscrits syriaques à peinture, Geuthner, 1964

VI.2. Saint Pierre à droite, près de la tête de la Vierge.

VII. Liban, Bibl. Bar Julius, Eth. 5 . A droite : la Dormition de la Vierge, XIX° siècle, parchemin de 17 x 13 cm,  (photo : Bibl. Bar-Jul.)

IX.1. Liban, rouleaux éthiopiens de la Bibliothèque Bar Julius, Eth.2, XIX° siècle, (photos : Bibl. Bar. Jul.) 201x9cm. super : L’archange. Médian : La série de regards. Infer : Les visages disposés en croix.

IX.2. Liban, rouleaux éthiopiens de la Bibliothèque Bar Julius, Eth.3, XIX° siècle, (photos : Bibl. Bar. Jul.)171x9cm. Super : L’archange. Médian : La croix étoilée. Infer : La croix de procession et la frise d’yeux en guillochis.

XIII. Vatican, Bibl. Apost. Syr. 118, f° 212 r. : L’Entrée à Jérusalem, XI° siècle, 41 x 27 cm.(photo : DAOU Boutros, Histoire des Maronites, Beyrouth, 1985)

XIV. Manuscrit de Kebran : L’Entrée à Jérusalem, an 1420, hauteur de la page 38,1 cm. (photo : Ethiopie-Manuscrits à peintures, New York graphic society-UNESCO , 1961).

XIX. Florence, Laur. Plut. I, 56, f° 13 r. : La Crucifixion et la Résurrection, an 586, 33 x 25 cm. (photo : Bibliothèque Médicéenne Laurentienne)

XX. Manuscrit de Kebran : La Crucifixion, an 1420, hauteur de la page 37,9 cm. (photo : Ethiopie-Manuscrits à peintures, New York graphic society-UNESCO , 1961).

 

 

XXIII. Florence, Laur. Plut. I, 56, f° 13 v. : L’Ascension, an 586, 33 x 25 cm. (photo : Bibliothèque Médicéenne Laurentienne)

 

XXIV. Manuscrit de Kebran : L’Ascension, an 1420, hauteur de la page 38 cm. (photo : EthiopieManuscrits à peintures, New York graphic society-UNESCO , 1961).

 

XXV.2. Florence, Laur. Plut. I, 56, f° 4 r. : Canon I, l’Annonciation, an 586, 33 x  25 cm. (photo : Bibliothèque Médicéenne Laurentienne)

 

 

XXV.1. Manuscrit de Jehjeh Guiyorguis : L’Annonciation, XIV°-XVI siècle, hauteur de la page 39,5 cm. (photo : Ethiopie-Manuscrits à peintures, New York graphic society-UNESCO , 1961).

 

 

XXVI. Londres, Brit. Mus. Or. 3372, la Nativité et le Baptême du Christ, XII°-XIII° siècle, 34 x 22 cm (photo : LEROY Jules, Les manuscrits syriaques à peinture, Geuthner, 1964)

 

 

XXVII.1. Manuscrit de Kebran : La Nativité, an 1420, hauteur de la page 38,1cm.

(photo : Ethiopie-Manuscrits à peintures, New York graphic society-UNESCO , 1961).et XXVII.2. Liban, Bibl. Bar-Jul. Eth. 5, l’Ascension de la Sainte Vierge, XIX° siècle, parchemin, 17x13cm.  (photo : Bibliothèque Bar Julius)

 

 

XXVIII.2. Florence, Laur. Plut. I, 56, f° 9 v. : Canon VII, Matthieu et Jean, an 586, 33 x 25 cm.(photo : Bibliothèque Médicéenne Laurentienne)

 

 

XXIX.1. Manuscrit de Kebran : Saint Luc, an 1420, h. de la page 39,1cm.(photo : Ethiopie-Manuscrits à peintures)

 


[1] LEPAGE Claude, La religion chrétienne en Ethiopie, Les dossiers de l’archéologie n°8, 1975, p.22.

   STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, Les Ethiopiens, Fils d’Abraham, Belgique, Brepols, 1990,

   p.12.

[2] LEPAGE Claude, op. cit., p.22.

   STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, op. cit., p.12.

[3] JABRE MOAWAD Ray, Les moines éthiopiens au Liban, Liban souterrain, Bulletin du GERSL n°5,   

  Liban, 1998, pp.186-207.

  JACOB Pierre, Etude analytique de l’inscription éthiopienne dans l’ermitage de Mar Assia,

  Spéléorient n°1, Liban, ALES, fév. 1996, pp.35-38.

[4] LEROY Jules, Manuscrits syriaques à peinture, Paris, Geuthner, 1964, v. 1, pp. 139-197.

[5] LEROY Jules, Ethiopie – Manuscrits à peintures, Paris N.Y. graphic Society-UNESCO, 1961, p.11.

[6] MERCIER Jacques, Ethiopien magic scrolls,   New York, George Braziller, 1979, p. 27.

[7] LEROY-WRIGHT-JAGER, Ethiopie-manuscrits à peintures, collection UNESCO de l’art mondial,

   Paris, New York graphic Society-UNESCO, 1961, p. 61.

[8] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., p. 13.

   STEIRLIN Henri, Orient Byzantin-L’art antique au Proche-Orient-de Constantinople à l’Arménie

   et de Syrie en Ethiopie, Fribourg-Suisse, Office du Livre-Seuil, 1988, p. 126.

[9] STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, Les Ethiopiens, Fils d’Abraham, Belgique, Brepols, 1990,

   p.12.

[10] LEPAGE Claude, Découverte de l’Ethiopie chrétienne, Les Dossiers de l’archéologie n°8, Paris,

   1975, p. 22.

[11] Idem.

[12] STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, op. cit., p. 12.

[13] Idem.

[14] LEPAGE Claude, op. cit., p. 22.

[15] STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, op. cit., p. 34.

   LEPAGE Claude, op. cit., p. 22.

[16] ANFRAY Francis, Les anciens Ethiopiens-siècles d’histoire, Civilisations, Paris, Armand Colin,   

  1990, p. 82.

[17] Idem.

  LEPAGE Claude, op. cit., pp. 23-24.

[18] Idem.

[19] STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, op. cit., p. 13.

[20] LEROY Jules, vol.1, pp. 139-197.

[21] LEROY Jules-WRIGHT Stephen-JAGER Otto, Ethiopie-manuscrits à peintures, collection

   UNESCO de l’art mondial, Paris, New York graphic society-UNESCO, 1961, p. 16.

[22] STIERLIN Henri, Orient byzantin-l’art antique au Proche-Orient-de Constantinople à l’Arménie et

  de Syrie en Ethiopie, Fribourg-Suisse, Office du Livre-Seuil, 1988, p. 121.

[23] Chapitre composé d’après le résumé du cours de P.A.Badwi.

[24] MOSCAT Sababatino, Les Phéniciens (trad. P. Amiet), Paris, Belfond-Le Chemin Vert, 1988.

  CHEHAB Maurice (prince), Mosaïques du Liban, Bulletin du Musée de Beyrouth, Paris, 1958.

  GRABAR André, Le premier art chrétien, Paris, Gallimard, 1966.

[25] HUYGUE René, Sens et destin de l’art, Paris, Flammarion, 1967-1985, vol. 1, pp. 216-217.

[26] SADER Jean, op. cit.

   NORDIGUIAN Lévon-VOISIN Jean-Claude, Châteaux et Eglises du Moyen Age au Liban, Beyrouth,

   1999, pp. 208-361.

[27] LIBAN CULTURE, Liban-le regard des peintres-200 ans de peinture libanaise, Paris, Liban Culture,

   pp. 69-73.

[28] HUYGUE René, op. cit., vol.1, p. 200.

[29]STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, Les Ethiopiens, Fils d’Abraham, Belgique, Brepols, 1990, pp. 20-21

[30]STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, op. cit., pl. III, photo 8.

[31] LEROY-WRIGHT-JAGER, Ethiopie-manuscrits à peintures, Collection UNESCO de l’art mondial,

   Paris, New York graphic society-UNESCO, 1961, p. 13.

[32] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit. p. 6.

[33] Idem.

[34] MERCIER Jacques, Ethiopien magic scrolls, New York, George Braziller, 1979, pp. 15-16.

[35] MERCIER Jacques, Ethiopien magic scrolls, New York, George Braziller, 1979, p. 7.

[36] STOFFREGEN-PEDERSEN Kirsten, Les Ethiopiens, Fils d’Abraham, Belgique, Brepols, 1990,

  p. 21.

  ANFRAY Francis, Les anciens Ethiopiens-siècles d’histoire, Civilisations, Paris, Armand Colin,

  1990, p. 165.

[37] MERCIER Jacques, op. cit., p. 12.

[38] LEPAGE Claude, Découverte de l’Ethiopie chrétienne, Les Dossiers de l’Archéologie n°8, Paris,

   1975, p. 71.

[39] LEPAGE Claude, op. cit., p. 67.

[40] LEROY-WRIGHT-JAGER, Ethiopie-manuscrits à peintures, Collection UNESCO de l’art mondial,

   Paris, New York graphic society-UNESCO, 1961, pp. 6-7.

[41] LEPAGE Claude, Découverte de l’Ethiopie chrétienne, Les Dossiers de l’Archéologie n°8, Paris,

   1975, p. 71.

[42] Nous les constatons dans le Brit. Mus. Add. 7174 de Londres; voir :

  LEROY Jules, Manuscrits syriaques à peintures, Paris, Geuthner, 1964, pp. 396-403.

[43] MERCIER Jacques, Ethiopian magic scrolls, New York, George Braziller, 1979, p. 122.

[44] MERCIER Jacques, op. cit., p. 121.

[45] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., p. 12.

[46] LEROY Jules, Manuscrits syriaques à peintures, Paris, Geuthner, 1964, p. 126.

[47] LEROY Jules, op. cit., p. 155.

[48] LEROY Jules, op. cit., p. 155.

[49] LEROY Jules, op. cit., p. 126.

[50] LEROY Jules, op. cit., p. 67.

[51] SADER Jean, Peintures murales dans les églises maronites médiévales, Beyrouth, Dar Sader, 1987,

  pp. 11-22.

[52] HUYGUE René, Sens et destin de l’art, Paris, Flammarion, 1967-1985, vol.1, p. 216.

[53] LEROY Jules, op. cit., p. 126.

   HUYGUE René, op. cit., p. 217.

[54] LEROY Jules, Manuscrits syriaques à peintures, Paris, Geuthner, 1964, pp. 256-257.

[55] LEROY Jules, op. cit. vol. Planches, p.4.

[56] Idem.

[57] LEROY-WRIGHT-JAGER, Ethiopie-Manuscrits à peintures, Collection UNESCO de l’art mondial,

   Paris, New York graphic society-UNESCO, 1961, pl. I.

[58] LEROY Jules, op. cit. pp.139-197.

[59] ANFRAY Francis, Les anciens Ethiopiens-siècles d’histoire, Civilisation, Paris, Armand Colin,

  1990, p. 208.

[60] LEPAGE Claude, Découverte de l’Ethiopie chrétienne, Les Dossiers de l’Archéologie n°8, Paris,

   1975, p. 75.

[61] SADER Jean, Peintures murales dans les églises maronites médiévales, Beyrouth, Dar Sader, 1987,

   pp. 23-33

[62] SADER Jean, op. cit., p. 23.

[63] LEROY Jules, op. cit. pp.425-426.

[64] LEROY Jules, op. cit. pp.424-425.

[65] LEROY Jules, op. cit. p. 425.

[66] MERCIER Jacques, Ethiopian magic scrolls, New York, George Braziller, 1979, p. 13.

[67] LEROY Jules, op. cit. vol. Planches, p.13.

[68] LEROY Jules, op. cit., pp. 350-366.

[69] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. III.

[70] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., p. 12.

[71] LEROY Jules, op. cit., vol. Planches, p.55.

   LEROY Jules, op. cit., pp. 236-237.

[72] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XIV.

[73] LEROY Jules, op. cit., pp. 233-235.

[74] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., table des matières, pl. II-III.

[75] LEROY Jules, op. cit., pp. 396-403.

[76] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XI.

[77] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXI.

[78] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXII.

[79] LEROY Jules, op. cit., p. 152.

[80] LEROY Jules, op. cit., p. 153.

[81] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XVII.

[82] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., p. 11.

[83] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. IV.

[84] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXIV.

[85] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXXI.

[86] LEROY Jules, op. cit., pp. 302-313.

[87] LEROY Jules, op. cit., pp. 280-302.

[88] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXXII.

[89] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XVIII.

[90] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXV.

[91] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. V.

[92] LEROY Jules, op. cit., p. 152.

[93] DER NERSESSIAN Sirarpie, L’art arménien, Paris, Flammarion, 1989, p. 83.

[94] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXI.

[95] LEROY Jules, op. cit., pp. 141-142.

[96] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXX.

[97] LEROY Jules, op. cit., pp. 261-267.

[98] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. X.

[99] LEROY Jules, op. cit., p. 148.

[100] Idem.

[101] SADER Jean, op. cit., p. 17, fig. 9.

  NORDIGUIAN Lévon-VOISIN Jean-Claude, Châteaux et églises du Moyen Age au Liban,

  Beyrouth, Terre du Liban, 1999, p. 254.

[102] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. IX.

[103] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. VIII.

[104] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. XXIX.

[105] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. VI.

[106] LEROY Jules, op. cit., pp. 140-141.

[107] LEROY Jules, op. cit., p. 126.

[108] LEROY-WRIGHT-JAGER, op. cit., pl. VII.

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