Almanara Magazine

L’écoute de l’autre débute par l’écoute de soi

Viviane MATAR TOUMA

Tout être humain peut avoir, tout au long de son parcours,

des soucis sur les plans personnel, relationnel voire vital. La nature et l’intensité des troubles varient d’une personne à l’autre en fonction de facteurs comme le caractère, les points forts et les points faibles,l’éducation, l’entourage et bien d’autres.

L’accompagnement psychologique aide la personne à

prendre conscience de ce qui l’affecte et lui permet de faire une

lecture objective de sa situation, si difficile qu’elle soit. Il est évidentque ce travail déclenche des résistances au départ, voire des mécanismes de défenses, comme réaction spontanée à tout évènement vécu comme désagréable. Ces mécanismes sont attendus et ont pour rôle de sauvegarder l’intégrité du MOI. L’accompagnement psychologique aidera la personne à maitriser ces mécanismes, à faire des associations, à chercher à comprendre ce qui se passe, en guise de remediation aux situations.

L’accompagnement est une forme d’aide qui ne peut donner des fruits que si la personne nécessiteuse en fait la demande. Accompagner c’est soutenir, guider et orienter une personne dans ses pensées, tout d’abord et dans ses actes, en second lieu. On ne peut imposer une aide à quelqu’un, sauf dans des cas de perte totale de la conscience, mais on peut toujours lui montrer ses bienfaits. L’accompagnateur est une personne impartiale, objective, qui a la capacité d’écouter et qui s’abstient de porter un jugement sur l’accompagnée.

L’accompagnement est une activité multiforme, on parle dès lors d’accompagnement de type intellectuel, de type psychologique affectif et de type spirituel. Choisir un accompagnement à un certain moment de sa vie, n’est nullement un comportement spontané, ni hasardeux. Des évènements et des facteurs, tant sur le plan personnel que sur le plan relationnel, le déclenchent.

Avec les grands évènements de la vie, toute personne ressent le besoin du changement et de la remise en question de certains aspects de son propre parcours. Le penchant vers la spiritualité et la recherche de Dieu augmente, même si la personne n’a pas été pratiquante tout au long de sa vie. D’un autre côté, le besoin de parler, de se confier, de penser à haute voix et d’être écoutée par une autre personne, se fait sentir. Certains optent pour un accompagnement spirituel, d’autres vers un accompagnement psychologique. Que ce soit l’un ou l’autre, le point de départ reste le même : le soi.

Les types d’accompagnement.

L’accompagnement intellectuel est un cheminement qui se limite au champ de l’idéologie : Le désir d’approfondir une idée, un concept et même de se lancer dans une recherche (personnelle ou académique). Certaines personnes sont en quête d’une méthode ou d’une stratégie de la pensée. cette forme d’accompagnement les aidera à clarifier les idées et à les placer dans le bon contexte.

L’accompagnement spirituel se situe au niveau de la rencontre entre l’homme et son Dieu. Il a pour but de «faciliter la communication » entre Dieu et l’homme. Selon l’expression d’Ignace de Loyola, L’accompagnateur spirituel doit inciter la personne à «chercher et trouver Dieu en toutes choses». Il s’agit de devenir un «contemplatif dans l’action», et par là même un « serviteur de Dieu » qui oeuvre en son nom pour le bien de l’humanité. La spiritualité Ignatienne est ancrée dans le quotidien de toute personne et l’invite à rechercher les signes de la présence de Dieu dans chacune de ses actions.

Les personnes qui optent pour l’accompagnement de type spirituel sont à la recherche d’un sens à leur vie, au départ. Tout au long de leur cheminement apparaitra le désir d’approfondir et de progresser dans la vie spirituelle, un désir de rapprochement de Dieu. Selon William Barry et William Connoly, l’accompagnement spirituel est « une aide donnée par un chrétien pour lui permettre d’être attentif à la communication personnelle que Dieu a avec lui, de répondre à ce Dieu qui communique avec lui personnellement, de progresser dans l’intimité avec Lui, et de vivre pleinement les conséquences de cette relations. »[1]1

En regardant au plus profond de lui-même, l’homme découvre pourquoi Dieu l’a façonné et quels sont ses desseins sur lui. Le

fondement biblique part du principe que Dieu est plus proche de l’homme et le connaît mieux qu’il ne se connaît lui-même. Ceci dit, être à l’écoute de soi, de découvrir son propre appel est une façon de se rapprocher de Dieu, d’entendre et d’obéir à son appel. En allemand comme en grec, le mot «obéir» vient du verbe «écouter». Obéir c’est être à l’écoute de soi, ouvrir la porte vers une écoute plus large.

L’écoute reste la clé principale de toute communication. Elle peut être aussi bien active que passive ; c’est la disponibilité de la personne qui compte.

L’accompagnement psychologique se présente comme une relation d’aide qui intègre les dimensions psychologiques et sociales dela personne accompagnée : la personne est invitée à s’écouter, à écouter sa propre demande, sa douleur, ses plaintes et ses joies. Elle est également invitée à se découvrir, à se comprendre et à connaitre ses compétences et ses limites. Autrement dit, à se situer en tant que personne. L’accompagnement, de type psychologique soit-il ou spirituel, est tout d’abord une présence et une disponibilité. Ce besoin de se sentir encadrer, protéger et surtout écouter, est un besoin fondamental et vital particulièrement pour la personne qui remet en question son existence et son parcours.

La présence de l’autre, en tant qu’accompagnateur est primordiale: c’est le miroir qui renvoie son image, à la personne accompagnée, et l’écho qui fait résonner ses propres mots. C‘est également cette étoile qui va éclairer son chemin dans la bonne direction. Autrement dit, toute personne a besoin d’être comprise par une autre afin de se comprendre elle-même. Mais aussi pour être comprise par l’autre, il lui faut comprendre cet autre. Ainsi le principe de l’accompagnement se fait dans les deux sens :« j’écoute cet autre qui me comprend ».

Les facteurs en jeu.

Dans l’accompagnement plusieurs facteurs entrent en jeu : les facilitateurs de la communication et les inhibiteurs. Ces facteurs qui concernent aussi bien l’accompagnateur que la personne accompagnée, se situent sur les plans personnel et relationnel. Les facteurs personnels: le caractère, la personnalité, le niveau d’instruction, l’éducation, l’éthique, les principes, etc. Les facteurs relationnels : le respect de l’autre, la nature de la relation, la distance entre les personnes, les personnalités compatibles ou incompatibles etc.

Les Facilitateurs : Toute relation réussie entre deux personnes est basée sur la confiance mutuelle, du moins du côté de la personne accompagnée. Toutefois, certains facteurs peuvent amorcer ce processus de confiance et créer des liens plus solides.

Du côté de l’accompagné, la franchise, la transparence et l’absence de mécanismes de défense sont des conditions favorables à l’écoute de l’autre.

Du côté de l’accompagnateur, d’autres facteurs sont indispensables pour une meilleur communication : la maturité professionnelle et la clarté dans les propos ; la disponibilité et l’écoute attentive ; l’absence de préjugés et de jugement de valeur et surtout la présence d’un cadre d’accompagnement fixe, avec ses avantages et ses limites. Les personnalités compatibles sont une condition favorable à l’écoute et à l’entente.

Cependant deux éléments restent des facilitateurs par excellence : la parole et la distance. « La parole permet l’expulsion de la charge émotionnelle. C’est comme la pression qui s’échappe de l’autocuiseur dès que l’on ouvre le clapet. L’extériorisation de ses sentiments est le meilleur remède anti –

stress et de surcroît le plus naturel »2[2]. La distance, entre les deux partis, tant sur le plan personnel que sur le plan relationnel, permet de prendre un recul, un espace suffisant pour faire un discernement personnel et éviter, tout compte fait, la dépendance.

La parole réduit l’insatisfaction et la frustration, sources de

stress. En abordant les situations vécues comme difficile avec une personne qualifiée, la personne accompagnée arrive à les désamorcer, à réduire l’agressivité latente avant de se transmettre en conflits et, par conséquent à favoriser l’épanouissement. Ainsi, la parole aide la personne à adopter le principe de la réalité. Grâce à la communication, la personne reconnaît son imperfection.

Ce processus s’inscrit dans un cheminement long et dur. Lorsque la personne n’est pas prête à voir les choses en face, l’accompagnement passera par des hauts et des bas avec des « sautes d’humeur » et des difficultés sur le plan relationnel. Ce n’est pas toujours facile de s’exprimer, de prendre conscience et d’être prêt à changer ou à s’adapter aux situations problématiques. La personne doit être prête à faire face à sa « douleur », elle doit se fixer un objectif dans son cheminement: « Toute parole renvoie à un désir de parler, à un désir de parler pour parler, mais alors on risque de parler pour le plaisir,(…)

cette fois la parole n’est plus une fin en soi. On ne parle plus seulement pour ne pas être seul ou pour se faire remarquer, on parle parce qu’on a un objectif à atteindre.[3] »

Le dialogue permet l’approfondissement de la connaissance de soi et de l’autre et s’avère être une condition nécessaire à toute relation de qualité et une opportunité de mieux connaître et satisfaire ses valeurs et éviter ses antivaleurs. Il permet également une meilleure compréhension de soi, des attentes et des critères de réussite et d’épanouissement dans la vie de la personne.

La dimension sociale ou relationnelle de toute communication se traduit par le principe d’interaction, ou ce qu’on appelle selon les différents auteurs, ‘comportement-réponse’, ‘information en retour’, rétroaction ou bien ‘feed-back’, qui est l’élément constitutif de la communication. A défaut de réponse en retour à toute sollicitation, on ne peut parler de communication, ni même de relation. Ainsi l’accompagnement met en jeu une interaction entre l’accompagné et l’accompagnateur, positive soit-elle ou négative. Cette interaction peut être verbale ou non verbale, directe ou indirecte, apparente ou sousjacente. Quelle que soit sa nature, l’interaction est le moteur de l’accompagnement.

La notion de distance mentionnée dans cette approche porte sur le degré et la nature de l’investissement dans la relation entre deux personnes. En matière d’accompagnement, la relation prend une autre tournure. L’accompagnateur n’est ni un ami, ni un parent, ni même un tuteur. C’est une personne qui est doté d’une maturité et d’une expérience, sur les plans personnel et professionnel, suffisantes pour mettre des limites entre elle et la personne accompagnée, afin de mieux gérer la situation et de l’amener à voir les situations avec clarté et objectivité.

Cette distance n’est pas uniquement physique (même cadre, même position, mêmes conditions environnantes etc.), mais surtout psychique : l’accompagnateur (même spirituel) est tenu de rester discret sur sa vie personnelle, de maitriser ses émotions, et à distance de toute familiarité et discussions intimes. Cette attitude est recommandée puisqu’elle favorise le « contre transfert », nécessaire face au « transfert » de la personne accompagnée. Cette dernière peut avoir des expressions émotionnelles assez fortes (positives comme négatives), tout au long de l’accompagnement, et a besoin d’un support solide pour résorber ou canaliser les émotions dans la bonne direction. Un accompagnateur non expérimenté risque de vivre un transfert avec la personne accompagnée et basculer la relation dans le mauvais sens.

Les inhibiteurs :

Toute communication repose ou produit un système de contrôle, de filtrage ou de sélection, délibéré ou inconscient. Les deux mécanismes les plus fréquents et les plus puissants inhérents à toute communication sont les mécanismes projectifs et les mécanismes de défense.

Les phénomènes de projection peuvent se présenter sous deux grandes formes dans la communication. Ils consistent à assimiler la pensée d’autrui à la sienne, ou à « attribuer aux autres des attitudes capables de justifier mes sentiments et mes comportements envers lui. »[4] Ainsi, aucune des deux personnes ne devrait prêter à l’autre ses propres sentiments ou encore penser qu’il fonctionne comme elle. L’assimilation de l’autre à soi-même est un facteur d’inhibition, l’une des raisons

essentielles de la « non » communication. L’accompagnateur ne devrait en aucun cas influencer la décision de l’accompagné ni l’orienter dans la direction de son choix mais, par contre, l’amener à prendre conscience et à penser la situation, à faire des associations qui vont lui permettre de trouver son chemin. De cette manière, l’accompagnateur accorde à la personne une certaine autonomie. L’autonomie dans la communication c’est la rencontre de deux êtres différents, vivant chacun sa vie propre mais unis par une relation d’égal à égal [5].

Trois sources de difficultés risquent de perturber la communication: Les conflits (Tensions internes), le blocage et la prise de position.

Le jeu d’émotions en matière d’accompagnement est un facteur des plus inhibiteurs, lorsque la personne n’arrive pas à se maitriser. Les tensions internes aussi bien que le blocage peuvent avoir des origines multiples, en rapport avec l’histoire personnelle et affective de la personne accompagnée. Des émotions simples ou complexes peuvent surgir et l’inhiber. Des mécanismes de défenses comme le déni, la projection, le déplacement ou la sublimation peuvent apparaitre en fonction des évènements vécus.

Dans des cas pareils, un accompagnement spirituel est secondé d’un accompagnement psychologique dans le but d’amener la personne à prendre conscience de l’origine du conflit et l’aider à y remédier.

L’accompagnateur doit être vigilant pour ne pas accaparer ou se laisser accaparer par la personne accompagnée. Il est bien sur recommandé d’avoir une certaine connaissance de soi, c’est-à-dire une formation et une analyse personnelle ainsi qu’une présence à soi, notamment la connaissance de ses propres forces et de ses propres limites.

Selon Jean François Catalan, accompagner, « c’est aider à trouver le chemin, soutenir la marche, éventuellement éclairer là où règne encore l’obscurité, indiquer parfois une direction et rien de plus.»[6]

Un accompagnateur spirituel avisé est invité à acquérir quelques connaissances de base dans le domaine de la psychologie humaine afin de desceller certaines difficultés qui seraient d’ordre psychologique et d’éviter le transfert susceptible de compromettre une vraie relation d’aide. De son côté l’accompagnateur en matière de psychologie est tenu d’avoir quelques connaissances sur le plan spirituel, dans le but de desceller un besoin d’accompagnement de type spirituel ou encore uneéventuelle vocation. Les deux formes d’accompagnement sont complémentaires. La personne en besoin d’accompagnement est invitée à discriminer et à apprendre à faire la part des choses.

La quête de la paix interne est un choix humain. Si la personne n’est pas prête à écouter sa propre douleur elle n’est pas prête non plus à écouter l’autre et par le fait même à se faire accompagner : « Le regard –jugement que l’on porte sur soi est vital à notre équilibre psychologique. Lorsqu’il est positif, il permet d’agir efficacement, de se sentir bien dans sa peau, de faire face aux difficultés de l’existence. Mais quand il est négatif, il engendre nombre de souffrances et de désagréments qui viennent perturber notre quotidien[7].

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Docteur en Psychologie

Professeur à l’université Saint Joseph et à l’université de la sagesse

Psychologue clinicienne – Psychothérapeute d’inspiration analytique et

psychodramatiste


[1] W.A Barry et W.J Connoly, La pratique de la direction spirituelle, Paris, DDB, 1988, p. 24

[2] SANANES Bernard, La communication efficace, DUNOD, Paris, 1995

[3] LEGRAND Bernard, L’image de soi ou la communication réussie, Ellipses, 1990

[4] ABRIC Jean‐Claude, Psychologie de la communication, Armand Colin, 1996

[5] BIZOUARD Colette, Vivre la communication, Chronique sociale, Lyon, 1980

[6] CATALAN Jean François, Expérience Spirituelle et Psychologie, DBB, 1991, p168

[7] ANDRE Christophe et LELORD François, l’estime de soi, Odile Jacob, 2008

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