Almanara Magazine

LE MAGNIFICAT

Dr. Fadi Lebbos

INTRODUCTION

Nous connaissons mal la Vierge Marie. A force de la voir dans les églises et les musées, habillée comme une impératrice, couronnée comme une reine… nous risquons d’oublier que Marie a d’abord été une vraie femme et une maman de la terre! Dans le village de Nazareth, le jour de l’Annonciation, rien ne la distinguait des autres jeunes filles de son âge. Rien, sinon un regard étonnamment clair et pur. Rien, sinon une amitié ouverte et accueillante à tous. Rien, sinon une volonté étonnamment ferme. Rien, sinon une joie étonnamment fraîche et toute prête à éclater avec les accents du Magnificat.

Marie, une vraie femme qui a dit à Dieu le “oui” le plus vrai, le plus fidèle, le plus parfait de toute l’histoire des hommes, son Fils Jésus excepté. Or son “oui” n’a pas été le “oui” d’une minute: ce fut le “oui” de tout une vie.

Marie est la première croyante, c’est vrai qu’elle ne comprend pas tout, ni tout de suite; mais elle croit en la Parole de Dieu. Voilà pourquoi elle la garde en son cœur. Précieusement, sûre qu’un jour elle comprendra. En attendant, elle avance sur le chemin de la foi à travers les choses ordinaires de la vie.

La prière mariale crée le climat et prépare la terre, elle ouvre l’homme à la grâce du salut.

Marie ouvre le cœur de l’homme au désir de Dieu: quiconque s’expose à la lumière du visage de Marie ne cesse de subir cet attrait.

Marie ouvre le cœur de l’homme à la confiance: une constatation a été faite à travers les siècles par le peuple chrétien, l’homme pécheur qui a peur de Dieu, qui fuit devant sa face, peut être gagné par Marie à la confiance. Péguy n’osait pas dire le Notre Père, car on y demande: “Que ta volonté soit faite”. Mais il disait des Ave Maria, car on y demande: “Priez pour nous, pauvres pécheurs”. Pourquoi Marie gagne-t-elle la confiance de l’homme pécheur plus facilement que son Fils lui-même? Une théologie populaire simpliste expliquait parfois: Dieu a divisé son royaume en deux parts: celle de la justice et celle de la miséricorde. Au Christ il a confié l’exercice de la justice, à Marie celui de la miséricorde. Péguy se fait encore l’écho de cette interprétation naïve: Parce qu’elle est pour la miséricode, et moi, il faut bien que je sois pour la justice…

Marie ouvre le cœur de l’homme à la divine charité: Par la prière à Marie, l’homme se rattache à toute la communauté chrétienne, car tout le mystère de l’Eglise se trouve concentrer en la personne et dans le rôle de Marie.

Le Magnificat est la prière d’une fille d’Israël, c’est-à-dire la prière d’un peuple, d’un peuple des croyants. C’est aussi la prière d’une personne, d’une femme, d’une vraie femme qui occupe une place exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité: à la fois, présente à cette histoire et proche du cœur de Dieu.

Marie est née dans un monde religieux en crise, divisé. Elle a partagé les joies et les peines de son peuple, ses angoisses et ses espérances. Certes beaucoup espéraient un Messie puissant, un guerrier victorieux, un prince, un chef triomphant. Quand Marie accueille le Messie en son sein, l’armée romaine est toujours là, les conflits demeurent, le mal triomphe: le salut est donné dans le silence à une femme pauvre.

Comme toutes les femmes de son temps, Marie priait, priait comme nombre de femmes avant elle. Le Magnficat en garde le souvenir. Sa prière la rapproche du cœur de Dieu. Elle prie avec foi en la promesse. Elle prie en offrant sa vie, son cœur, son corps pour le salut de son peuple et de toutes les nations de tous le temps.

Qui de nous n’a jamais désiré connaître la prière de la Mère de Jésus? Or le Magnificat nous renseigne étonnamment sur ce sujet. Le cœur de Marie, c’est d’abord un cœur qui chante la louange de Dieu; et son chant n’est pas tant le chant de l’histoire d’une âme que de l’histoire de salut de tout le peuple de Dieu.

Il ne faut pas lire le Magnificat comme un texte de l’A.T. qui pourrait servir de prétexte à des guerres saintes ou à des révolutions de classe. Ce chant annonce une révolution, non violente, mais c’est la mise au monde d’une civilisation de l’amour. Ce chant est avant tout une parole de foi. Le Magnificat n’est pas une prière à Marie, c’est une prière de Marie. “Bienheureuse celle qui a cru..” (Luc 1, 45). A la salutation d’Elisabeth, la Mère de Dieu répond en laissant éclater son cœur dans le chant de Magnificat. Marie appelle à la foi, à la liberté, à la justice et à l’amour. La misère des hommes, leur lâcheté, elle les connaît. Mais elle sait l’amour infini de Dieu pour les pécheurs et sa volonté de les sauver tous. Voilà pourquoi elle chante. Elle n’a pas encore bu le vin de Cana, ni le vin de la Croix; mais l’amour de Dieu, déjà l’a envirée.

A ceux qui cherchent la même joie à partager, la même liberté à vivre, le même royaume à construire, Marie donne envie de Dieu. De ce Dieu qui nous libère en nous entraînant dans la spirale de son amour. Et de sa joie.

Marie n’a pas inventé le Magnificat, mais elle a puisé les mots de sa prière de l’A.T.: elle en a fait un bouquet merveilleux, extraordinaire. Au centre, le cantique d’Anne, puis des versets de Psaumes, des citations de la Genèse, des chroniques, d’Isaïe, de Job, de Habacuc, Ben Sirac, etc.

Ainsi le Magnificat nous parvient chargé des espoirs d’Israël et de toute l’espérance du monde. Il n’est pas seulement le chant d’une femme, il est le chant d’un peuple, le chant de l’humanité. Le chant de la terre qui s’élève vers le ciel: le chant d’un monde pécheur en attente d’un Sauveur. Et ce Sauveur, c’est Marie qui l’apporte. Car son Magnificat ne se sépare pas de son Fiat, du oui qu’elle a prononcé au jour de l’Annonciation et du oui qu’elle a confirné au pieds de la Croix. Alors le Magnificat est le plus beau cadeau offert au monde par “la Vierge du Fiat et du Magnificat” (Jean-Paul II).

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Le Magnificat:

Hymne au Dieu de Marie

 (v. 46-49)

46  Mon âme magnifie le Seigneur,

47  et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur

48 car il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante; désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

49 Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses; et saint est son Nom!

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Hymne au Dieu des Humbles

(v. 50-53)

50 Et sa miséricorde est pour des génération et générations sur ceux qui le craignent.

51 Il a fait œuvre de force par son bras, il a dispersé les hommes au cœur orgueilleux.

52  Il a renversé les puissants de leurs trônes, et Il a élevé les humbles.

53 Les affamés, Il les a rassasiés de biens et les riches, Il les a renvoyés les mains vides.

Hymne au Dieu d’Israël

(v. 54-55)

54  Il a relevé Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde.

55 Selon qu’Il a promis à nos Pères, en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais.

Michel Gourgues, cahiers Evangile, n.80:

Les verbes daction dans le Magnificat (Selon R. LAURENTIN):

SUJETSACTIONSOBJET
MARIEDIT mon âme exalte…………… exulte mon esprit …………… …………………………….  le Seigneur en Dieu mon Sauveur  
DIEUA REGARDE ……………… Les générations ME DIRONT………………Sa servante   Bienhereuse
DIEUA FAIT …………………… Sa miséricorde……………… A FAIT déployant la force de sa bras – il disperse…………………… – il renverse…………………… – il élève……………………… – il comble……………………… – il renvoie……………………… – il relève ……………………… Se souvenant de sa miséricorde commePour moi de grandes choses   de générations en générations les superbes les tyrans les humbles les affamés les riches Israël, son serviteur  
ILA DIT……………………………à nos pères,  à Abraham et à sa descendance A JAMAIS

Mon  âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon sauveur…

Marie ne dit pas explicitement: “je”, elle utilise deux mots tout simplement:

– Mon âme (en grec: psyché). Souvent on traduit par vie, on peut également traduire par cœur. Mais l’image du cœur, si familière dans la culture française, ne l’était guère dans la langue et la culture grecque. Le Magnificat n’est pas seulement le chant d’un moment historique, c’est le chant de toute une vie.

– Mon esprit (en grec: pneuma). Il désigne le souffle de vie (comme rouah en hébreu). C’est le mot qui sert à désigner l’Esprit-Saint. Marie emploie deux mots très proche l’un de l’autre. Dieu est amoureux. Marie qui croit à cet amour, et qui va de découverte en découverte en ce domaine, laisse alors éclater sa joie. Quelle joie?

La joie d’une femme d’abord: dans l’A.T., Dieu avait conclu sa première Alliance avec des hommes au masculin; dans le N.T., Dieu renouvelle son Alliance en s’adressant à une femme. Et une femme vierge: “je suis vierge” (Luc 1, 34), avait dit Marie à l’ange. Dieu respecte sa virginité. “L’Esprit-Saint viendra SUR toi”, comme jadis la nuée était venue SUR la tente de l’Alliance… et l’Engendré, qui sera fruit de ses entrailles, sera appelé Saint, Fils de Dieu. Autrement dit, le Fils de Dieu devient le Fils de Marie; l’Engendré du Père (sans mère au ciel) va naître d’une mère (sans père sur terre). La joie de Marie est la joie d’une femme de Nazareth. La joie d’une femme pauvre, comblée par l’infini richesse de l’amour de Dieu.

La joie d’une personne pauvre, humble. Marie fait partie du monde des petits, des humiliés, des pauvres de la terre. Or Dieu a fait attention à elle, car il aime les pauvres et ne se laisse impressionner ni par la richesse ni par le pouvoir. Il n’est qu’amour, et, à cause de cela, il est le pauvre: celui qui a tout et qui donne tout, celui qui pardonne et qui se donne… jusqu’au bout. Jusqu’à donner son Unique, et le laisser mourir en croix, c’est-à-dire le laisser aller, lui aussi, jusqu’au bout de l’amour… Dieu, en effet, s’intéresse aux petits, aux pauvres qui lui ressemblent. Voilà pourquoi, il regarde avec un regard d’amour celle qui se présente comme la toute petite servante de Dieu. Quelle joie pour elle et pour le monde des pauvres!

la joie d’un peuple. Car la joie de Marie est aussi celle du peuple d’Israël. Le Magnificat chante la joie du salut donné par Dieu à l’humanité et ce merci de Marie est un merci au nom de l’humanité

La joie de Marie n’est pas la joie d’une voyante, qui a tout vu, tout compris tout de suite. Sa joie, c’est la joie d’une croyante qui gardait toutes ces choses dans son cœur. Marie n’a pas vu, elle a cru.

Il s’est penché sur son humble servante: désormais tous les âges me diront bienheureuse…

Dieu a regardé Marie: Dieu l’a regardée et Marie s’est éveillée. Comme la terre se réveille le matin, quand le soleil pose sur elle son regard. Elle a tresailli, elle a éclaté de joie:… Mon âme exalte le seigneur… car il a jeté les yeux sur son humble servante. Sous le regard du soleil divin, Marie a grandi étonnamment, au point de devenir la petite servante du Seigneur capable d’accueillir le don infini.

Marie accueille le regard de Dieu: Humilité: le mot signifie ce qui est en bas, ce qui ne s’élève pas au dessus du sol (en latin humus). Parmi les petits auxquels le royaume est promis, Marie est la très petite. Ici Marie loue Dieu non parce qu’elle a mérité ce bonheur, mais parce que c’est Dieu qui le lui donne. Marie ne se vante pas, elle loue Dieu qui lui donne ce bonheur, un bonheur qui fera la joie des générations à venir et qui nourrira leur louange envers Dieu.

Avant le Magnificat, les hommes louaient les femmes pour des raisons tout à fait différentes: on les louait pour leur beauté, pour leur sagesse, pour leur science, pour leur richesse, pour leur influence, que sais-je? Aujourd’hui, avec Marie, en son Magnificat, se réalise la vraie promotion de la femme. C’est le regard de Dieu sur la petitesse et la pauvreté de Marie qui est une promotion: la vraie. La petite marie devient une personne importante puisque Dieu prend le temps de la regarder. De la regarder avec amour. C’est lui, le saint des Saints, qui accomplit des merveilles en elle: d’une servante, il fait l’Arche d’Alliance, le Temple de sa présence. D’une femme effacée, il fait la plus grande sainte, l’icône de Dieu, du Dieu pauvre, humble et fidèle, plein de sagesse et de miséricorde. L’icône de Dieu-Amour qui, en Jésus, se fait Serviteur des hommes. De tous les hommes.

Le Magnificat est la prière des pauvres: Marie, si discrète dans l’Evangile, proclame ici la révolution historique commencée par la venue du Sauveur: la miséricorde du Seigneur se révèle  dans la fidélité à sa parole… en renversant la condition injuste faite à l’homme pauvre. Non par une révolution politico-militaire contre les riches, mais par une prise de position historique en faveur des pauvres. La dignité des pauvres en est exalté.

Le puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son nom…

Ainsi Marie magnifie Dieu, non seulement pour ce qu’elle est grâce à Dieu, mais surtout pour ce que Dieu fait en elle. La traduction la plus exacte est de dire grandes choses à la place de merveilles.

Le Messie est là. Or ce n’est point un prophète de plus, un héros militaire, un surhomme, non: c’est Dieu lui même, Dieu fait homme. Cette merveille inattendue, se réalise à l’accord de Marie. Plus étonnant, cela contraste avec la pauvreté, l’humilité, la petitesse de Marie, la servante: Marie n’avait rien, elle est maintenant comblée par Dieu. Elle n’était rien, elle ne pouvait rien: elle est maintenant tout ce que pouvait rêver une femme d’Israël, elle est la mère de Messie, le Sauveur Jésus. Elle devient elle-même la merveille de Dieu pour mettre au monde cette merveille inattendue de l’amour de Dieu pour les hommes, Jésus, le Fils du Père qui devient son fils. Dieu seul pouvait imaginer et réaliser cette merveille de son amour.

Marie a bien raison de rendre grâce, de chanter son merci. Et de le chanter en notre nom à tous. Mais nous? Sommes-nous à l’unisson de Marie? Est-ce que nous sommes reconnaissants à Dieu de ce qu’il a fait pour les hommes? De plus, sommes-nous attentifs aux merveilles que le Seigneur a accomplies pour nous?

Saint: appliqué à Dieu, ce terme a un sens très fort. Pour comprendre le Magnificat, et tout spécialement ce verset 49, il suffit de retenir que la religion d’Israël adorait en Dieu, très précisément, le Saint. Dieu est le Saint, depuis toujours et jusqu’à toujours, mais il s’est fait homme en Jésus. Lui, l’Eternel, est entré dans notre histoire pour nous rendre semblables à lui, saints comme lui.

Son nom: dans le langage juif de l’A.T., le nom, exprime la personne, le rôle d’un être dans le monde. Voilà pourquoi Dieu, au seuil de la création donne un nom au jour et à la nuit… et invite l’homme à donner un nom aux animaux. Donner un nom, c’était confier une mission à quelqu’un. Changer le nom de quelqu’un c’était par le fait même, lui imposer une nouvelle personnalité, une nouvelle mission à remplir dans le monde Ex. Abraham, Pierre… Le nom de Dieu est mystérieux comme sa nature. Le nom de Dieu, c’est Dieu lui-même, sa réalité transcendante qui dépasse l’homme. Son nom, ce qui le caractérise, c’est sa sainteté. Vraiment, Saint est son nom.

Cette affirmation est la conclusion de la première partie de ce cantique où Marie exalte le Seigneur parce qu’il a fait des merveilles en elle, pour elle et pour le monde. De même cette affirmation explique ce qui va être dit dans les verset suivants.

Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent…

Avec ce verset nons abordons la seconde partie du Magnificat. Notons que la louange de Marie dans la seconde partie se déploie à l’intérieur d’une inclusion: L’amour ou la miséricorde vient au début et à la fin. C’est une manière de souligner que le thème est central et court implicitement à travers cette seconde partie de la prière de la Vierge. Cet amour est semblable à un fleuve de la miséricorde dont Dieu est la source, manifesté pendant tout l’A.T. à l’intérieur des frontières étroites d’un petit peuple, voici qu’avec Jésus, cet amour s’élargit aux dimensions du monde de manière insoupçonnée, cherchant à recouvrir toute la terre des hommes, tout l’univers.

Nous qui chantons si souvent la louange du Magnificat, nous baignons dans ce fleuve de miséricorde et d’amour. En avons-nous conscience?

…Sur ceux qui le craignent: Est-ce que Marie nous invite à avoir peur de Dieu? certainement non plus, car la Bible parle de la crainte de Dieu en un sens qui évoque le respect de Dieu et non la peur. Il s’agit de respecter Dieu à cause de ses bien-faits, de sa fidélité… et de demeurer fidèle à sa volonté. Or la volonté de Dieu consiste à observer les commandements, non pas au nom de la loi comme une contrainte juridique, mais au nom de la vie offerte par Dieu: pour vivre en homme et en fils de Dieu, il faut observer les règles d’une bonne conduite. La crainte du Seigneur n’a donc rien à voir avec la peur, elle invite au contraire à la confiance. Jésus a dit: N’ayez pas peur, ayez confiance, c’est moi, je suis là. Alors que Dieu fait peur à ceux qui l’imaginent tout-puissant à la manière des grandes de ce monde. Or tout chrétien devrait savoir qu’il n’y a pas plus humble que le Dieu de Jésus Christ qui a voulu se fair serviteur de tous ici-bas jusqu’à la croix.

Déployant la force de son bras, il disperse les superbes…

Le déploiement de forces dont parle ce verset s’accorde avec le verset 49. Toute la Bible parle de la force, or de quelle force s’agit-il ici? Dieu agit toujours avec les moyens pauvres. car sa force, sa vraie force, c’est la force de l’amour. Dieu est force. Devant lui, l’homme est fablesse. Dieu cependant s’est fait homme. Alors la force du bras de Dieu, la vraie force dans la faiblesse est celle du Verbe fait chair, mais aussi celle de la vierge Marie dans le Magnificat. Elle ne se réduit pas au simple sentiment de la faiblesse, participant à la faiblesse de toute créature; elle est, en même temps, consciente d’une force qui vient entièrement de Dieu.

Il disperse les superbes: une autre traduction, il a dispersé les orgueilleux (en grec Hyperphanoi) par les calculs de leurs cœurs. Toute la bible et spécialement l’A.T. les dénoncent: l’orgueil est le péché capital par exellence. Ce péché les oppose aux humbles, aux craignants-Dieu. Le Magnificat nous rapelle une constante de l’action de Dieu. Mais une constante dans l’A.T. qui se réalise dans le N.T. d’une manière superbe. Car le grand vaiqueur des superbes, celui qui les démasque et les disperse, c’est un pauvre, un petit, un craignant-Dieu, un humble, Jésus, le fils de Marie, l’humble servante du Seigneur. Il n’y a pas plus petit, plus humble que Jésus, et c’est la raison pour laquelle il triomphe de l’orgueil et du mal sous toutes ses formes.

Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles…

Qui, il? le Dieu Tout-puissant. En parlant de la Toute-puissance de Dieu, nous ne devons pas oublier que c’est celle de l’amour. Cette partie est la partie révolutionnaire du Magnificat. C’est une révolution évangélique: les puissants sont opposés aux pauvres et Dieu prend parti pour les pauvres: il les élève et, d’un même mouvement renverse les puissants. Ici il y a opposition entre les puissants, ceux qui ont le pouvoir, et les pauvres, ceux qui sont sans pouvoir: ceux dont la voix n’est pas entendue, qui n’ont pas le moyen de se faire entendre, de se défendre. Ce n’est pas la révolution des hommes, mais la révolution de Dieu, qui rétablit la justice, l’équité et la vérité. En renversant les puissants, il les libère de leurs vaines illusions et les promeut à la dignité des pauvres…

L’élévation des humbles annoncée tout au long de la Bible trouve son sommet lorsque l’homme le plus homme, le plus humble, Jésus, élevé sur la croix, révèle aux yeux de tous la vraie gloire de l’homme en même temps que le vrai visage de Dieu: l’amour.

Marie a reconnu le vrai Dieu: celui des pauvres. Dieu aime les pauvres, il veut les libérer de tout mal, les sauver tous… et il s’engage dans une libération totale, radicale, du malheur, de l’injustice et du péché. Alors que ce cantique est un appel, non seulement à la prière, à l’espérance, mais aussi à l’action. Il rapelle avec vigueur l’amour infini du Seigneur pour tous les pécheurs et sa volonté de les sauver tous.

Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides…

Ce verset sonne clair. Il évoque l’intolérable situation d’injustice dans notre monde depuis la nuit du premier péché jusqu’à nos jours. Marie évoque, en commençant par la faim du ventre, toutes les faims de l’homme. Car pour que le Puissant aie la possibilité de faire en nous des merveilles, il faut que nous soyons affamés, et d’abord des affamés de justice. C’est vrai qu’il s’agit de la faim de pain d’abord mais l’homme a faim aussi et surtout d’amour vrai. Il désire être aimé tel qu’il est et aimer mieux à son tour. La faim d’amour vrai s’entend aussi du pardon: pas d’amour sans pardon. Nous avons soif aussi d’être reconnus dans notre dignité. Il y a aussi la faim et la soif de sécurité, de paix, de liberté et d’espérance. Il y a la faim de Dieu. Cette faim et cette soif expriment symboliquement le besoin que l’homme a de Dieu. Dieu creuse en nous le désir, le besoin, la faim de lui-même pour combler notre cœur de ses biens. Quels sont ces biens? Ceux précisément auxquels nous aspirons au fond de nous-mêmes: nous voulons aimer, être libres, vivre en paix, être respectés dans notre dignité. Le bien par exellence que Dieu nous donne, c’est son Fils qui est “le chemin, la vérité et la vie” (Jn 14, 6). Ces biens sont autre chose que les biens matériels de consommation, ils sont d’abord le don de l’Esprit-Saint.

Il relève Israël son serviteur. Il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais.

Avec ce dernier verset Marie élargit les perspectives de sa prière à son propre peuple, Israël. Dieu intervient dans l’histoire d’un pauvre petit peuple, Israël. A l’origine de ce peuple, il y a un homme aimé de Dieu: Abraham (Gn 17, 1-8). Cet homme à cause de sa foi en Dieu, est appelé le père des croyants; or à plus forte raison, par sa foi, son espérance, sa joie, Marie est devenue la mère des croyants.

Le magnificat est par exellence la prière de la foi messianique. Dans ce cantique convergent la prière du peuple de l’A. et du N.T. et celle de la mère de Jésus. En elle passe quelque chose du tressaillement de la joie d’Abraham en attente du Messie (Jn 8, 56).

Pour les siècles: ne désigne pas des séries précises de cent ans, mais le toujours de Dieu. Un temps sans fin, mais la plénitude de la durée en Dieu: l’éternité. Nous pouvons alors constater -comme Marie- que Dieu vient toujours en aide à ses serviteurs et ses servantes, car Dieu a de la mémoire: il se souvient de son amour et de sa miséicorde envers tous, mais en priorité envers les pauvres. Il se souvient de son Alliance, cette Alliance d’amour qui domine l’histoire de l’humanité. Le Magnificat n’en finit pas de nous inviter à bâtir cette civilisation de l’amour que réclame l’Eangile et l’Eglise aujourd’hui. Pour cela, il nous faut, comme Marie nous y invite, nous souvenir de l’amour de Dieu… et agir.

Dans le regard que Dieu porte sur son humble sevante, dans les merveilles qu’il fait en elle, Marie trouve la preuve de la fidélité divine à l’égard d’Abraham et de sa race à jamais. Israël est pour toujours aimé (Rm 11, 28), englobé dans le regard d’amour que Dieu porte sur Marie, la fille de Sion.

CONCLUSION

Le Magnificat est un chant. C’est le chant de Marie, d’une femme de chez nous, même si elle prend à son compte les mots de la prière du peuple d’Alliance. Un chant dont le point de départ est le fiat de l’Annonciation. Fiat, c’est-à-dire Amen, Oui, dans la joie et l’espérance, à l’enfantement de Jésus, le Sauveur; un chant dont le point d’arrivée est le Fiat de Calvaire, c’est-à-dire l’enfantement de l’Eglise, dont elle devient la Mère dans les larmes et le sang.  Le chant de Marie n’est pas seulement un message, c’est une personne: le Christ enfant, Fils de Dieu; le Christ Eglise, peuple de Dieu. Le Magnificat, c’est un chant du passé, mais c’est aussi le chant de l’avenir: le chant des Béatitudes, le chant des pauvres.

Marie, la Vierge du Fiat et du Magnificat, nous invite à devenir toujours davantage l’Eglise du Fiat, du oui à Dieu et l’Eglise du Magnificat, du merci à Dieu aux couleurs des Béatitudes. L’Eglise du Magnificat, c’est une Eglise qui garde en mémoire les merveilles de Dieu opérées en chacun de nous et autour de nous, et qui garde les yeux ouverts pour reconnaître, aujourd’hui, les merveilles que Dieu continue d’accomplir pour nous et avec nous. C’est une Eglise attentive aux pauvres, une Eglise qui prend le temps de prier, d’écouter la Parole de Dieu, d’être témoin de cette Parole. Le Magnificat avant d’être un chant et une prière, c’est d’abord quelqu’un: Jésus, le Verbe fait chair, le Fils de Marie, le Messie espéré par le peuple, attendu par l’univers et enfin venu… pour nous sauver tous. Ce que chante Marie en son Magnificat, c’est cet événement qui intéresse tous les hommes, toutes les races, toutes les nations.

Dans un interview télévisé, un journaliste allemand interrogeait des passants à Mosco sur la misérable situation en Russie. La question était la suivante: où voyez-vous encore une lueur d’espoir pour votre patrie? L’un des interrogés, un homme répondit: je garde espoir pour la Russie, car ce pays appartient à la mère de Dieu!

 En ce sens et à travers une telle étude de la prière de Marie, nous pouvons dire avec saint Augustin: “Jamais un serviteur de Marie ne manquera le salut”. Vierge Marie ait pitié de nous.

Prière alphabétique à Marie:

Ave Maria, gratia plena!

Buvons la volonté de Dieu!

Commençons notre année comme toi, Marie:

Du matin jusqu’au soir. Etre ouverts à Sa Lumière!

Fixés en Lui comme toi,

Goûtons et voyons comme est bon le Seigneur!

Habillons-nous de Jésus-Christ, Il est le vêtement qui nous conveint parfaitement.

Joie et bonté rayonneront sur nos visages,

K-O sera l’ennemi qui en veut à nos vies,

Lorsque nous accueillons Dieu.

Marie, ervante du Seigneur,

Nous te demandons:

Ouvre-nous ton cœur,

Pour qu’en voyant ton amour,

Qui ne se referme sur aucun bien de la terre et du ciel,

Renaisse aux creux des nôtres,

Silencieux, le même Amour.

Tu es pour nous

Une tendre mère,

Vierge Marie,

Wagon-famille abritant les voyageurs pour le ciel.

Xylophone, harpe, tambourins et pipeaux

Y jouent ensemble, triste ou joyeux, le chant des montées jusqu’au

Zénith! 

Labbé René Laurentin nous livre une tradition littérale (entre parenthèses, les principales sources bibliques de ce texte):

Mon âme magnifie le Seigneur (Ps 69/68, 31; 34/33, 2)

et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur (1 S 2, 1; Ha 3, 18: Is 61, 10)

car il a regardé la pauvreté de sa servante. Oui désormais (1 S 1, 11)

toutes les générations me diront bienheureuse (Mi 3, 12; Gn 30, 13).

Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses (1 S 2, 2)

et sa miséricorde s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent (Ps 102/101, 17).

Il a deployé la force de son bras, il a dispersé (Ps 89/88, 11)

les orgueilleux par les pensées mêmes de leurs cœurs.

Il a renversé les puissants de leurs trônes (Jb 12, 18; 5, 11)

et élevé les humbles (Si 10, 14-15 d’après la Septante 1 S 2, 6-8).

Il a rassasié de biens les affamés (Ps 107/106, 9)

et renvoyé les riches les mains vides (Ps 34/33, 11).

Il s’est saisi d’Israël son serviteur (Is 41, 8, 1)

se souvenant de sa miséricorde (Ps 98/97, 3)

-ainsi qu’il avait dit à nos Pères- (Gn 12,3; 13,13; 22, 18)

à Abraham et à sa descendance à jamais (2 Ch 20; 1 S 2, 10).

REFERENCE

J.-M. SEGALEN avec collaboration de F.-X. DURWELL et R. PREVOT, Prier avec Marie, Ed. Droguet et Ardant, Paris 1995, 188p.

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