Almanara Magazine

La pratique de la foi entre l’institutionnel et le traditionnel: quel engagement ?

Mirna Abboud Mzawak

Chef du Département de Sciences Sociales

USEK

La réflexion problématisante dans le présent article se base sur une expérience d’accompagnement éducatif de jeunes universitaires dans un espace de rencontre académique et sur des recherches réflexives autour des notions de vocation et d’engagement par la foi.

Sont perçus actuellement dans le monde des intégrismes religieux allant parfois jusqu’au reniement de l’autre, jusqu’au terrorisme, et d’autre part un relâchement religieux arrivant jusqu’au rejet de la foi, de toute forme de relation avec le divin et de tout rôle socio- éducatif et humain de la religion.

Quels positionnements prennent les éducateurs vis-à-vis des éduqués en dehors du contenu « technico- professionnels » et  « technico-méthodologiques » pourtant nécessaires dans leurs limites fonctionnelles ? Quel positionnement prennent ces mêmes éducateurs en termes religieux : celui de la foi doctrinale et des croyances ou celui de la foi finalisante des pratiques et de la doctrine ?

Il s’agit du niveau lexical dans sa relation avec un vécu concret concernant des notions existentielles comme celles de vocation, d’engagement, de foi et de religion. Nous remarquons que ces notions vitales deviennent des mots banalisés par le quotidien et ne retrouvent plus leur portée humaine profonde en dehors d’une routine d’emploi non significative existentiellement.

Que forme notre système éducatif scolaire et universitaire : des récepteurs passifs incapables de poser et de se poser des questions, incapables de construire leur projet de vie par la foi, incapables d’accepter ou de refuser en connaissance de cause,  et avec tout cela croyant tout savoir, se sécurisant dans une appartenance normative à une communauté socioreligieuse ? Ou forme-t-il des jeunes capables de comprendre et d’analyser ce qui est reçu, de l’intégrer en le reformulant, de l’assumer ou le refuser en connaissance de cause ?

Dans ce qui est appelé vécu religieux s’agit-il d’une foi communautaire, d’une religion de groupe ou d’une foi vocationnelle interactive ?

N’adoptons-nous pas plus facilement la même position des juifs qui ont choisi la sécurité du pouvoir institutionnel et normatif contre la présence interpellante et libératrice de Jésus, contre l’Appel divin adressé à tout homme comme valeur des valeurs, crée par un Dieu d’Amour, et qui, de par sa nature ne peut qu’appeler à l’amour sanctificateur, libre et libérateur ?

La foi vocationnelle interactive contredit-elle la religion de groupe ou au contraire la vivifie-t-elle dans sa diversité égalitaire constitutive ?

L’espace éducatif chrétien est censé contenir  un espace de réflexion recul par et avec les jeunes vis-à-vis de leur bagage éducatif, social, familial, parental et religieux afin de leur assurer une base réflexive ouverte à un cheminement positionnel de leur foi dans leur vie, les portant à une construction consciente de leur vocation personnelle.

Il s’agit d’une rentabilisation du bagage religieux des jeunes par une action de pointage, d’élimination de plusieurs confusions et de constructions cognitives éclairantes des notions de vocation, d’appel, et d’engagement.

Les points forts de cet  espace de formation, expérimenté à l’USEK,  sont les suivants :

  • Analyse critique de la notion de religion à partir d’une définition simple tirée du Robert et dans laquelle est soulevée la différence entre la conception du divin comme pouvoir ou comme principe supérieur avec une réflexion interpellante sur la conception que  chaque jeune peut se faire du positionnement interactif qu’il peut avoir dans sa vie avec le divin(cf. : schémas ci-dessous)

Le mot reconnaissance est abordé aux niveaux lexical, éducatif, cognitif, personnel et collectif. S’ensuit une analyse des notions d’obéissance, de respect et de soumission. Enfin les retombées socio culturelles et normatives d’une religion sont situées dans leur fonctionnalité sociétale et institutionnelle spatiale et temporelle.

    Dieu

+                                      +               Dieu                    Homme           Évènement

Évènement

Homme

  • Une définition  de la religion à travers ses trois composantes : foi, pratique rituelle et morale de cette foi, dimension institutionnelle de cette même foi, donne une conception globale  d’un vécu cohérent d’une religion à travers une interaction entre ses parties constitutives remplaçant ainsi la partiellisation dudit vécu dans des réalités communautaires, faussement laicisantes.
  •  Sont abordés ensuite les notions de fondateur, fondation, disciples, institutionnalisation, etc.et à partir d’elles une distinction entre foi et religion. Cet axe  aide les jeunes à savoir distinguer  fonctionnellement dans leur vécu religieux entre  ce qui relève d’un Message de foi et  ce qui relève du champ d’action institutionnel dans un espace et un temps sociétal déterminés.
  • La formation en question approfondit les éléments constitutifs d’un regard analyste global et interactif en termes de globalité et de diversité égalitaire constructives de toute réalité globale. La globalité interactive mène à réfléchir les notions de vocation, d’appel, de projet de vie et  de choix tout en présentant leur rentabilité personnelle et collective.
  • Quant à la notion d’appel, elle est abordée d’abord par le biais des sollicitations qui nous entourent : Quelles dispositions avons-nous pour les accueillir, les rejeter, les assumer, les négliger et les distinguer suivant un ordre de priorités basé sur nos valeurs, nos normes, nos appartenances, nos expériences, etc.

Pour ce qui est de l’appel divin, il provient d’une force qui est reconnue par des hommes pour être créatrice. Cet appel traduit la présence d’une force intérieure, invisible, qui relève de la dimension de l’Être et représente les répercussions d’une présence intérieure, dépassant la personne. L’appel vocationnel établit une relation personnelle avec cette force et pousse l’homme à s’auto accomplir, à aller vers le stade idéal de tout domaine de vie.  Cet appel est invisible à l’œil nu humain et social ; il est extérieurement « silencieux ».

L’appel suppose, aux deux niveaux individuel et collectif,  un espace de gratuité qui assure la possibilité d’une présence disposée à l’écoute, à l’intériorisation, à un filtrage réflexif ou récepteur en connaissance de cause menant à une réponse existentielle à traduire dans des choix, des décisions et un vécu concret.

  •  La notion de vocation globale concerne toute la personne (à travers toutes ses dimensions constitutives) et toutes les personnes (quels que soient leur ậge, leur sexe, leur religion, leur culture, leur état de vie, leur race…) Il s’agit d’un appel adressé par Dieu à tout Homme à vivre et faire vivre l’amour, parce que Dieu est amour ; à la sainteté, parce que Dieu est saint, et à témoigner de l’amour en se sanctifiant et en sanctifiant. Dieu,  dans ce sens n’est pas sélectif, mais son appel, quoiqu’égalitaire, est personnalisé, respectant la richesse spécifique de toute personne.

La vocation globale consiste donc pour tout homme à faire grandir en lui ses caractéristiques de personne créée à l’image de Dieu, enfant de Dieu. Cette conception de la vocation globale dépasse le champ particulier d’une religion et pose l’Homme dans une relation plus existentielle avec le divin. A partir de la foi chrétienne elle porte chaque personne à découvrir et vivre l’appel divin dans tous les domaines de sa vie, même en dehors des choix faits par certains pour la vie consacrée ou le ministère ordonné.

  •  Pour les chrétiens sont expliqués les niveaux d’identifications sacramentaires et fonctionnelles de la vocation chrétienne ainsi que les différents niveaux de directions vocationnelles à travers lesquelles toute personne peut tracer son chemin vocationnel particulier dans une réalisation personnelle du contenu de l’Appel Divin.
  • Suite à la notion de vocation est abordé le concept d’engagement comme réalisation existentielle par chaque personne de sa vocation à travers des choix particuliers et dans des domaines de vie divers.

Les dimensions constitutives de l’engagement sont profondément analysées et elles tournent autour des points suivants :

  • La prise de conscience vocationnelle, clef identitaire de l’engagement
  • La liberté, condition identitaire de l’engagement
  • L’action, nature identitaire de l’engagement
  • La construction de liens, contenu identitaire de l’engagement
  • La conduite identitaire de l’engagement

Certaines formes d’engagement sont analysées pour montrer les parts statutaire et comportementale de l’engagement dans des domaines de vie correspondants. Nous nommons à titre d’exemple : la promesse, le bénévolat, le contrat, la mission, le vœu, etc.

  •  Le concept de valeur est abordé surtout dans sa relation avec l’engagement. Celui-ci quelle que soit sa forme, vise à vivre et faire vivre les valeurs humaines dans l’environnement socioculturel.
  •  Le mariage, les formes de conjugalité, la vie conjugale et familiale sont abordés à la fin du cours comme illustration pratique des notions et concepts de vie analysés.
  •  Une intervention formative et interpellante de la part de jeunes atteints de handicap est faite pour porter nos jeunes à palper les notions abordées : la vocation globale (tous appelés), la diversité égalitaire dans une globalité sociétale et ecclésiale où toute personnes a sa place humaine et humanisante.  Une analyse d’un texte de Saint Paul tiré de la première Lettre aux Corinthiens sur la comparaison entre l’Église et le Corps est menée par les jeunes handicapés. Ladite intervention a aussi pour but de déplacer la position de la personne atteinte de handicap de celle de personne assistée à celle d’acteur et d’éducateur.

Il convient de signaler dans le même sillage qu’une personne engagée par sa foi, but ultime de toute éducation chrétienne,  est productrice de ses actions. Elle n’est pas un simple produit de son cadre institutionnel religieux. L’engagement religieux par la foi est plutôt pensé comme source du devenir des religions.  La personne engagée est ainsi animatrice, non manipulatrice. Elle anime et donne une âme aux liens sociaux et humains tissés dans les espaces d’engagement qu’elle côtoie.

Le présent un espace de formation n’est que préliminaire pour aborder des notions vitales pour les jeunes en pleine construction de leur vie. Il n’est pas un cours de culture générale, de catéchèse ou de sciences religieuses. Il est un espace académique structuré en termes d’objectifs, de concepts, de méthodes, etc. Il se veut correspondre au profil de vie des jeunes, de leurs besoins et de leurs attentes. Il vise à assurer aux jeunes un espace d’encadrement par la réflexion, quoique limité dans le temps et l’espace. Il voudrait aiguiser la capacité d’analyse critique des jeunes afin qu’ils puissent être de vrais acteurs de leur propre vie. Il est poseur de jalons conceptuels, notionnels et analytiques.  Il est interpellateur.

Il fait partie d’une réforme éducative voulue mais non encore amorcée et qui vise reconnecter tout vécu avec l’esprit de foi et celui des fondateurs.

En définitive, notre expérience d’enseignement et d’accompagnement de jeunes universitaires de toutes disciplines confondues, nos réflexions et recherches dans les domaines socio religieux ont été révélatrices d’une infrastructure sociétale, culturelle et ecclésiale situant les jeunes dans « l’Avoir » de la foi plus que dans « l’Etre » croyant.

Le système éducatif, reproducteur donc d’une infrastructure « communautariste » ne peut fournir un bagage nécessaire à la construction d’un engagement vocationnel par la foi. D’où la nécessité d’une réforme de l’éducation communautarisée qui ne nie pas la communauté comme cadre socio culturel fonctionnel mais qui forme à la distinction entre la fonctionnalité du limité socio culturel et institutionnel et le vécu vocationnel de la foi à portée humaine universelle. Or, qui dit distinction n’entend pas séparation mais capacité de se situer de par son engagement par la foi entre le limité et l’illimité.

C’est de cette manière que nous arriverons petit à petit, toutes religions confondues, à redéployer notre mémoire de foi.

La foi, toute foi de toute religion est constructrice de l’Homme. Seuls les excès de pouvoir assujettissent l’homme au nom de Dieu ou d’un Fondateur de religion.

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